Cinq ans après Pig, le réalisateur iranien Mani Haghighi revient derrière la caméra avec Les Ombres Persanes. Comprenant au casting Taraneh Alidoosti, Navid Mohammadzadeh ou encore Esmail Poor-Reza, le long-métrage se centre sur l’improbable découverte d’un couple, croisant par le plus grand des hasard un homme et une femme leur ressemblant trait pour trait…

Continuant de naviguer entre les genres, Mani Haghighi s’essaye au thriller psychologique avec une certaine finesse, oubliant la causticité qui avait la force de son précédent essai (Pig) afin de mieux déstabiliser le public, préférant savamment distiller la tension inhérente à son intrigue pour créer le malaise. En résulte un ‘double je’ gagnant progressivement en profondeur, s’enfonçant à pas feutré dans la noirceur.

Flirtant avec le fantastique, Les Ombres Persanes prend des allures de conte (im)moral où les les bassesses de l’homme s’exposent sous un éclairage peu flatteur, jalousie et convoitise prenant le pas sur la bienveillance, le partage. En reprenant à leur manière le concept du Doppelgänger, le réalisateur et son coscénariste Amir Reza Koohestani tisse un récit implacable dans le sens où l’on sait indéniablement que le drame peut prendre tout le monde de court à chaque entournure. C’est dans une atmosphère anxiogène que prend racine cette histoire à la lisière du réel, où la rencontre entre deux couples partageant des similarités défiant les lois de la physique prend un chemin tortueux, fracturant doucement mais sûrement leur petit monde.

Monitrice d’auto-école, Farzaneh croise au détour d’un cours son mari Jalal grimper à bord d’un bus, ce qui lui semble suspect. Poussée par son instinct, cette dernière se décide à le suivre jusqu’à sa destination, un immeuble assez cossu de Téhéran. De quoi instiller la graine du doute, son époux mène t-il une double-vie ? Une question amorçant une quête identitaire en miroir alors que cette peur de l’adultère se voit balayée en un rien de temps. Déjouant les attentes, le script de Haghighi et Koohestani s’engage sur un terrain instable, pouvant s’écrouler à tout moment. En effet, à leur grande stupéfaction, Jalal et Farzaneh vont se rendre compte qu’ils ont des sosies, également en couple – Mohsen et Bita – qui sous ces traits identiques sont pourtant différents de par leur origine sociale et leur caractère.

De cette rencontre aux frontières du réel, qui restera un mystère de bout en bout (une décision créative se comprenant parfaitement puisque l’essentiel est ailleurs), Les Ombres Persanes met en place un jeu de dupes plus complexe qu’il n’y paraît, ne succombant pas à la facilité du chassé-croisé sentimental. Au contact de l’autre, le quatuor principal se retrouve à un carrefour existentiel, amenant certains à prendre des décisions pouvant tout faire basculer. Miné par le spectre de la dépression d’un côté et de l’aigreur de l’autre, nos couples tentent de palier leurs problèmes personnels en faisant un pas vers leurs doubles. Des interactions ne pouvant déboucher que sur du négatif et c’est dans une certaine crainte que le spectateur attend que la situation tourne au vinaigre. Misant tout sur ce climat pesant, l’intrigue donne la part belle à la friction, le parcours commun unissant Farzaneh, Jalal, Mohsen et Bita provoquant des étincelles, le tout avec tact.

Porté par les performances grisantes du tandem Taraneh Alidoosti/Navid Mohammadzadeh, riche en nuances – ce qui était essentiel pour que l’on croit à la dissemblance caractérielle des deux couples qu’il incarnent avec brio – on se laisse embarquer dans ce thriller en pente douce, les sensibilités de chacun ne pouvant amener qu’à une conclusion en clair-obscur. Outre l’interprétation qualitative de nos interprètes, saluons également la mise en scène inspirée de Mani Haghighi, qui donne un cachet indéniable à ce drame intimiste se nouant devant nos yeux, enfermant nos personnages dans un Téhéran sombre et pluvieux, la pluie ne cessant jamais de tomber sur eux, telle la fatalité s’abattant sur ses victimes.

© FILMS BOUTIQUE – MAJID FILM PRODUCTION – DARK PRECURSOR PRODUCTIONS

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