[Critique] Everything Everywhere All at Once, à la croisée des destins
Si The Death of Dick Long leur deuxième essai après Swiss Army Man n’a pas passé l’espace aérien français, restant inédit en salles à ce jour, Daniel Scheinert et Daniel […]
Pour ceux qui se font des films en séries
Si The Death of Dick Long leur deuxième essai après Swiss Army Man n’a pas passé l’espace aérien français, restant inédit en salles à ce jour, Daniel Scheinert et Daniel […]
Si The Death of Dick Long leur deuxième essai après Swiss Army Man n’a pas passé l’espace aérien français, restant inédit en salles à ce jour, Daniel Scheinert et Daniel Kwan – plus communément appelés les Daniels – ont su attirer davantage l’attention avec leur dernière réalisation en date Everything Everywhere All at Once. Comprenant au casting Michelle Yeoh, Ke Huy Quan, Jamie Lee Curtis, Stephanie Hsu, James Hong, Tallie Medel, Jenny Slate et Harry Chum Jr., le long-métrage se centre sur l’incroyable périple d’Evelyn Wang, une femme en pleine crise existentielle se retrouvant à la croisée des chemins alors que se dévoile devant ses yeux l’immensité du multivers…
Devenu le film le plus populaire d’A24 en franchissant la barre des 100M$ de recettes dans le monde, Everything Everywhere All at Once aura su faire son petit effet lors de sa sortie en reprenant à sa sauce le concept de monde parallèle. Désormais disponible en vidéo (Originals Factory en ayant d’ailleurs profité pour éditer un Steelbook exclusif à la France), celui-ci témoigne du style particulier des ‘Daniels’, qui ont trouvé leur créneau en conviant l’absurde au fantastique pour offrir une caisse de résonnance originale à leurs histoires à dimension humaine. Ainsi, après avoir évoqué une génération complètement paumée en se servant de Daniel Radcliffe comme un cadavre plein de ressources (et de gaz), notre tandem de choc utilise les multiples facettes de Michelle Yeoh et de ses comparses pour donner du grain à moudre à un drame familial pour le moins chaotique.
Se voulant un objet filmique iconoclaste, ce délire multiversel se donne les moyens de ses ambitions en terme de narration et de mise en scène, Daniel Scheinert et Daniel Kwan ayant eu les coudées franches pour s’exprimer, ce qui se ressent à l’écran en terme de créativité. Pour faire cours, le tandem a pu tracer sa feuille de route comme bon lui semblait, ne s’interdisant que peu de choses, ce qui est à la fois une force mais également une faiblesse. Cette absence de canalisation se traduit par une odyssée bouillonnante n’hésitant pas à partir dans tous les sens, quitte à radoter où ne plus savoir où donner de la tête – à l’image de leur personnage central. Pris en étau par ses soucis d’ordre personnel et professionnel, Evelyn Wang est au bord de l’implosion, ses perspectives d’avenir s’assombrissant sous le poids des responsabilités. Entre une laverie et un mariage qui prend l’eau, des relations avec son père et sa fille qui ne sont pas au beau fixe, cette dernière est tout sauf sereine, se questionnant sur son existence et les choix l’ayant amené dans une telle situation.
Une quête intérieure somme toute classique, qui va pourtant prendre un tournant inattendu quand se présente à elle une soi-disant version alternative de son époux Waymond, venant d’un univers parallèle. Le point de départ d’une virée ô combien mouvementée pour notre héroïne en devenir qui va prendre part à une aventure qui la dépasse en voyageant à travers les mondes, dans le but de sauver le multivers rien que ça. Réussissant à expliciter avec efficacité leur mythologie et le fonctionnement de ces bonds à travers les réalités, les Daniels embarquent rapidement le public avec eux, à grands renforts de séquences fortes pour donner le ton quant à la teneur de leur long-métrage. L’action et le second degré s’assemblent pour rajouter un peu de piquant à ce périple foutraque divisé en trois chapitres, qui s’autorise bon nombre de digressions pour profiter au maximum de son concept. En explorant malgré elle cette infinité de destins et de possibilités, Evelyn reconsidère le sens même de la vie, tandis que se dévoile devant ses yeux bon nombre d’alternatives à son quotidien terne et morne. Une dimension intimiste qui se nourrit du cadre exceptionnel dans lequel se déroule l’intrigue, où une mission désespérée sert de vecteur à une réflexion sur les liens du coeur et les liens du sang.
Car oui cette escapade de la dernière chance dans le multivers, aussi bordélique soit-elle, sert de vecteur à une introspection quant aux valeurs familiales, où le poids des traditions, les difficultés inhérentes à la transmission mais surtout les non-dits peuvent affecter les relations entre chaque membre de la cellule et les amener sur la mauvaise pente. Dans n’importe quel monde, le foyer reste un refuge, ce dont démontre Everything Everywhere All at Once, qui montre son meilleur visage lorsque les enjeux se resserrent sur Evelyn et ses proches, le véritable nœud de l’intrigue. De quoi fournir un petit supplément d’émotion, surtout dans le dernier acte, où les paroles et les actes se rejoignent afin de recoller les morceaux détruits en cours de route et laisser poindre une note d’espoir dans cet océan d’amertume. Une sensibilité bienvenue qui permet également à l’ensemble de la distribution de tirer son épingle du jeu, à commencer par Michelle Yeoh, Ke Huy Quan et Stephanie Hsu qui se donnent à fond devant la caméra, enchaînant avec aisance les phases d’actions pures avec chorégraphies millimétrées à la clé et les séquences délicates, la sensibilité entrant dans la partie sans crier gare. Le trio porte le film sur ses épaules et peut compter sur des seconds couteaux tels que Jamie Lee Curtis et James Hong pour les aider dans cette tâche.
Si en terme d’écriture, certains aspects peuvent paraître irritants à force de s’éparpiller à droite et à gauche, la générosité de Daniel Scheinert et Daniel Kwan aide à gommer ces défauts, les deux hommes donnant le change en matière de réalisation. Malgré les oscillations du scénario tout du long de ses deux heures vingt (qui n’hésite pas à remettre une pièce dans la machine même quand l’occasion ne s’y prête plus), on reste attentif à ce qu’il se passe devant nous grâce à la mise en scène inspirée de notre duo de sales gosses, qui s’éclate à multiplier les idées visuelles, à jouer avec les formats d’images. Le concept du multivers prend sens grâce à cette énergie folle déployée pour que le public en prenne plein les mirettes, réussissant là où Marvel Studios s’est récemment montré plus prude et réservé dans son exploration des possibles. Ce qui est un excellent point.
Comme ils l’ont prouvé par le passé, Daniel Scheinert et Daniel Kwan aiment prendre des détours sortant de l’ordinaire pour alimenter leurs récits à dimension humaine. Une formule prenant une nouvelle ampleur avec Everything Everywhere All at Once, qui prend le pli d’une course effrénée dans les entrailles du multivers pour proposer un délire chaotique qui ne manque pas de panache ni de cœur. En clair, un joyeux bordel ne pouvant que susciter des réactions – qu’elles soient positives ou négatives.
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