[Critique] The Father, quand la réalité se dérobe
Troquant le monde du théâtre pour celui du septième art, le dramaturge Florian Zeller s’est attelé à la réalisation de son premier long-métrage, intitulé The Father, qui est l’adaptation de […]
Pour ceux qui se font des films en séries
Troquant le monde du théâtre pour celui du septième art, le dramaturge Florian Zeller s’est attelé à la réalisation de son premier long-métrage, intitulé The Father, qui est l’adaptation de […]
Troquant le monde du théâtre pour celui du septième art, le dramaturge Florian Zeller s’est attelé à la réalisation de son premier long-métrage, intitulé The Father, qui est l’adaptation de sa pièce Le Père. Comprenant au casting Anthony Hopkins, Olivia Colman, Rufus Sewell, Imogen Poots, Olivia Williams et Mark Gatiss, celui-ci nous fait suivre la trajectoire intérieure d’un homme de 81 ans, Anthony, dont la réalité se brise peu à peu…
Six ans après le sympathique Floride de Philippe Le Guay, qui prenait de grande libertés avec la trame originelle, Florian Zeller se charge de proposer une adaptation plus fidèle de sa pièce Le Père, tournée cette fois dans la langue de Shakespeare. Au programme de cette nouvelle approche cinématographique, un traitement pour le moins déstabilisant de la maladie d’Alzheimer pour un drame maîtrisé d’une main de maître, The Father nous immergeant avec force dans ce que peut représenter cette dégénérescence progressive de l’âme pour ceux qui en sont atteints ainsi que leurs proches.
S’associant à un autre dramaturge, Christopher Hampton, afin de l’aider à porter son œuvre à l’écran et en traduire les dialogues pour un public international, Florian Zeller une transition des plus réussies en nous livrant un huis-clos anxiogène émotionnellement dévastateur aussi bien pour ses personnages que pour nous spectateurs. Pour évoquer cette douloureuse thématique de la décrépitude de l’être, notre duo de scénaristes – récompensés à raison de l’Oscar du Meilleur Scénario Adapté – trouve l’angle idéal pour capter l’attention et sensibiliser à cette lente descente vers l’oubli : rester au plus près de leur protagoniste principal, Anthony, victime de cette pathologie.
Ainsi nous suivons notre homme alors qu’il se retrouve à vivre chez sa fille, un changement de situation survenu après que ce dernier ait congédié sa dernière aide-soignante, la seule condition lui permettant d’être encore autonome. Perdu dans ce grand appartement où il réside désormais, Anthony sombre peu à peu tandis que la réalité se déforme devant ses yeux et que sa relation avec Anne pâtit de cette cohabitation forcée. Ménageant savamment ses effets, The Father emprunte une pente descendante pour le moins sinueuse pour mieux nous faire ressentir la souffrance qui accompagne les personnes atteintes d’Alzheimer ainsi que ceux qui les entourent. Ici point de pathos pour nous toucher en plein cœur, Florian Zeller jouant plutôt avec les codes du thriller pour souligner les conséquences d’un tel mal-être.
Si en nous piégeant entre quatre murs il fait le choix de rester scolaire dans sa mise en scène, le réalisateur parvient tout de même à instaurer une ambiance pesante grâce au soin porté au montage, point essentiel à la qualité du long-métrage. En positionnant sa caméra du côté d’Anthony, celui-ci fait du spectateur le premier témoin de son altération psychologique car tout comme lui, nous sommes dans le flou tandis que des informations cruciales nous sont manquantes et perturbe notre compréhension de l’intrigue, à bon escient. Un puzzle mental dont les pièces ont du mal à s’emboîter, à dessein, avec une temporalité non-linéaire, des objets disparaissant comme par enchantement, des identités se confondant avec changement d’apparence à l’appui.
Tant de miroirs déformants qui travestissent une réalité qui se dérobe sous les pieds de notre patriarche, ce qui est un crève-cœur pour sa fille mais aussi pour le spectateur puisque l’on sent venir l’inévitable et nous nous sentons impuissants face à une telle condition. Ce malaise couplé à une émotion, non feinte, sont renforcés par la brillante prestation d’Anthony Hopkins, qui aura mérité son Oscar dans le rôle de ce père taciturne se laissant gangréner par ce mal du nom d’Alzheimer. Grâce à sa palette de jeu impressionnante, l’acteur réussi avec une aisance déconcertante à passer de la joie de vivre à l’aigreur, de la douceur à la colère, tantôt suspicieux tantôt déboussolé avec comme point d’orgue une séquence finale déchirante. Dans le rôle d’Anna, Olivia Colman n’est pas en reste et continue de s’impose aux côtés du monstre sacré qu’est Anthony Hopkins avec une prestation touchante, le parcours de résilience de son personnage – qui fait face à la situation avec force et affronte les sautes d’humeur de son paternel avec courage – ajoutant une épaisseur supplémentaire au drame qui se noue à l’écran.
Pour sa première expérience aux manettes d’un long-métrage, Florian Zeller s’en sort avec les honneurs avec une adaptation aboutie de sa pièce de théâtre (Le Père). Drame aux allures de thriller, The Father souligne avec force les conséquences tragiques de la maladie d’Alzheimer sur les personnes en étant atteinte ainsi que leurs proches. Déboussolant mais surtout émotionnellement puissant.