Sept ans après le documentaire My Friend Larry Gus, le réalisateur grec Vasilis Katsoupis s’attèle à sa première œuvre de fiction avec À L’Intérieur. Un thriller comprenant au casting Willem Dafoe et se centrant sur un voleur d’œuvres d’art dont le dernier coup tourne au vinaigre…

Pour son premier long-métrage de fiction, Vasilis Katsoupis s’immerge dans le genre dit du film d’enfermement, afin de proposer une expérience artistique en bonne et due forme, s’interrogeant sur la condition humaine par le biais de la représentation scénique d’un Willem Dafoe toujours prompt à donner de sa personne pour illustrer le propos d’une œuvre – d’autant plus lorsque celle-ci joue sur le minimalisme pour déstabiliser le spectateur.

Comme nous le savons, l’art se veut le témoin d’une époque, d’un style, d’un mouvement, formant un segment sur une ligne continue. En clair, une trace indélébile survivant à son créateur, à son temps. Ce que cherche à souligner le scénariste Ben Hopkins qui, d’après une idée originale du réalisateur, développe une intrigue tournant volontairement en rond afin de symboliser la progressive perte de repères d’un protagoniste se renfermant sur lui-même en se retrouvant piégé entre quatre murs les quatre murs d’un penthouse à la pointe de la technologie. Alors qu’il pensait avoir flairé un coup en or Nemo, un voleur spécialisé dans le domaine du luxe, voit sa recherche de tableaux de renom du peintre Egon Schiele se transformer en un laborieux chemin de croix, son cambriolage tournant au martyr. Et pour cause, le système de sécurité de l’appartement dans lequel il se trouve vient contrecarrer ses plans, le bloquant dans l’enceinte de celui-ci.

Abandonné à son sort dans cet environnement aseptisé coupé du monde extérieur, ce cher Nemo doit trouver le moyen de se sortir de cette cage dorée au thermomètre défaillant, qui n’offre aucune porte de sortie. Débute dès lors une quête pour la survie, avec de bien maigres moyens. Avec comme seule compagnie des bibelots d’une valeur inestimable mais ironiquement infonctionnels vu la situation (à l’image d’un réfrigérateur vide d’où sort la mélodie entêtante de La Macarena), notre anti-héros doit rivaliser d’ingéniosité pour subvenir à ses besoins vitaux en attendant de se faire l malle. Et c’est là que À L’Intérieur tente de sortir du lot, en laissant l’espace nécessaire à Willem Dafoe pour s’exprimer et donner un autre sens à la notion d’enfermement. Ici, le personnage peut bouger à sa guise, ne voit pas ses mouvements obstrués et pourtant, cela ne l’empêche pas d’être tel un hamster s’éreintant à courir dans sa roue, s’agitant dans le vide quitte à se blesser inutilement. De quoi permettre au comédien de démontrer une fois de plus de son talent, son magnétisme faisant le job.

Si à travers les baies vitrées et les caméras de sécurité le monde continue de tourner, dans ce logement sans âme l’horloge s’est arrêtée, isolant complètement ce Robinson post-moderne sur son île de béton et de verre, tout juste bon à se laisser glisser vers la déraison. Pour illustrer la décrépitude de l’homme et sa nature volubile, Vasilis Katsoupis tire profit de l’économie de moyens, son long-métrage disposant d’un budget serré (moins d’un million de dollars) et symbolise sa réflexion avec un montage sonore où la sensation prime sur le démonstration, la parole n’étant qu’accessoire par rapport à la puissance évocatrice du silence. Au contraire des décors, qui jouent un rôle crucial, ces vastes pièces du penthouse dans lequel déambule Willem Dafoe aidant à instaurer cette impression d’isolement, avec en prime l’utilisation de plans larges pour accentuer l’effet. Tout comme l’usage d’une photographie un brin superficielle, témoignant du brouillage du réel dans cette lente descente aux enfers .

Pour sa première œuvre fictionnelle, Vasilis Katsoupis confronte l’art de la création à celle de la destruction dans un huis-clos minimaliste qui donne la part belle à un Willem Dafoe impeccable en Robinson post-moderne aux portes de la folie. S’il s’étire un tantinet trop en fin de parcours, À L’Intérieur n’en reste pas moins une proposition intrigante que l’on se plaît à suivre jusqu’à son terme, grâce à la performance de son interprête principal.

© Steve Annis

Laisser un commentaire