Deux ans après Mon Chien Stupide, Yvan Attal revient derrière la caméra avec une nouvelle adaptation, celle du roman éponyme de Karine Tuil intitulé Les Choses Humaines. Réunissant Ben Attal, Suzanne Jouannet, Charlotte Gainsbourg, Pierre Arditi, Audrey Dana, Mathieu Kassovitz, Judith Chemla et Benjamin Lavernhe au casting, le long-métrage s’articule autour d’une affaire d’agression sexuelle avec les conséquences qui en découlent…

Auréolé du prix Interallié ainsi que du Goncourt des lycéens en 2019, Les Choses Humaines de Karine Tuil s’attelait à démonter la mécanique du système judiciaire par le biais d’un récit implacable amenant à la réflexion sur la question du consentement avec une intrigue ambiguë à souhait. Une thématique forte et toujours – tristement – d’actualité, qui a tapé dans l’œil d’Yvan Attal, qui s’est réapproprié ce roman pour s’engager sur un terrain glissant, s’attelant à un drame aux allures de tragédie loin de laisser indifférent, jouant des zones d’ombres propre à la sordide histoire qui nous est présentée pour mettre le spectateur dans la peau d’un juré, dans le but de proposer un exercice réflectif sur la culture du viol et la notion de vérité.

Au cœur du long-métrage, une accusation et ses conséquences sur une galerie de personnages, touchés à des échelles différentes par le cours d’une soirée virant au cauchemar pour une jeune femme, qui se dit victime d’un viol par un homme. Le point de départ d’un engrenage pervers, emportant tout sur son passage. Comment a t-on pu en arriver là ? Qui croire dans un tel cas de figure ? D’épineuses et cruelles questions qui servent de moteur à une intrigue destinée à nous faire naviguer en eaux troubles, l’enjeu étant de nous plonger la tête dans un océan d’incertitudes pour mieux mettre en exergue la difficulté à émettre un jugement – d’autant plus à une époque où la réaction est immédiate. Pour aborder ce sujet complexe, la nuance se doit être de mise. Si l’on peut dénoter quelques maladresses d’ordre scénaristiques, dues notamment aux modifications apportées par le réalisateur et sa coscénariste Yaël Langmann qui, cherchant à désépaissir une intrigue fleuve font des choix structurels affaiblissant quelque peu la puissance du propos (à l’image de la caractérisation du personnage incarné par Pierre Arditi), dans l’ensemble saluons que le manichéisme ne soit pas de mise.

Divisé en trois parties distinctes, Les Choses Humaines s’affaire à nous présenter les différents partis avant de s’attaquer au vif du sujet, histoire de mieux se concentrer sur l’effondrement du château de carte établi devant nos yeux. C’est ainsi que nous sommes introduits à Alexandre, fils issu d’un milieu bourgeois, son père étant vedette de télévision et sa mère une intellectuelle féministe, revenant des États-Unis – où il étudie – pour assister à une remise de prix de son paternel. Profitant de son temps libre dans la capitale, le jeune homme fini par rendre visite à sa mère et y rencontre son nouveau compagnon, professeur de lettres, ainsi que sa fille. Une rencontre à priori anodine, qui préfigurait d’une bonne entente pour tourner rapidement à l’horreur. La gueule de bois d’une soirée ayant dégénérée est sévère, aussi bien pour les protagonistes que pour les spectateurs quand les forces de l’ordre viennent chercher Alexandre pour le placer en garde à vue suite à une plainte pour viol déposée par Mila. Un électrochoc qui vient fracturer l’équilibre des uns et des autres alors que se pose tout un tas de questions sur les événements ayant mené à cet acte.

Un sujet délicat traité par le vecteur du regard, de la parole, amenant à un examen clinique de la situation de la part d’Yvan Attal, sa caméra restant à bonne distance pour laisser planer le doute sur les faits énoncés, les réactions de chacun servant de matière à nourrir cette confusion que veut entretenir le réalisateur. Cette froideur est d’ailleurs un élément qui a toute son importance dans notre manière d’appréhender ce fait divers, avec cette volonté manifeste de flouter les lignes de fuite pour que toutes les vérités soient entendues, quitte à déplaire. De l’effarement arrive la colère, l’incompréhension et les critiques fusent de chaque côté, un point intéressant à suivre car permettant de mettre en lumière des problématiques sociales avec deux milieux qui ne se comprennent pas entre l’univers gauche caviar dans lequel navigue Alexandre et le monde plus conventionnel, plus strict dans lequel a été élevé Mila, où la religion à une place importante. De ce fait, parmi les dommages collatéraux de cette agression, s’exposent une certaine lutte de classes – où la perception d’une même notion diverge selon l’éducation reçue, notamment celle du consentement, avec une peinture peu flatteuse de certaines castes, pensant que tout leur est dû, leur est acquis.

Deux visions diamétralement opposées, dont va s’alimenter Les Choses Humaines pour son réquisitoire, dans sa troisième et ultime partie, qui devient un film de procès. Un acte brillamment mené, où les cartes sont sans cesse redistribuées pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre selon les plaidoiries des avocats, les dires des témoins et les confessions des prévenus. En privilégiant les plans séquences dans l’enceinte du tribunal, Yvan Attal permet à sa distribution de montrer l’étendu de leur talent, et si Charlotte Gainsbourg, Pierre Arditi, Audrey Dana, Mathieu Kassovitz, Judith Chemla et Benjamin Lavernhe n’ont plus rien à démontrer, ce choix de mise en scène théâtral permet surtout au plus jeunes de se révéler. Ainsi, Ben Attal et Suzanne Jouannet montre l’étendue de leur palette de jeu, riche en variations et nuances, donnant de l’épaisseur à leur alter-ego, Alexandre et Mila – avec à la clé des prestations magnétiques, le tandem étant l’atout du long-métrage, mis en valeur comme il se doit par un réalisateur inspiré par son sujet.

Avec Les Choses Humaines, Yvan Attal livre une adaptation solide de l’œuvre de Karine Tuil qui, s’il n’a pas la carrure de son modèle littéraire, transpose avec une certaine efficacité les thématiques développées par l’autrice sur les questions du consentement, de la vérité et de la machine judiciaire. En résulte un drame gagnant en aspérité, en intensité alors que le spectateur est pris à parti, devant entendre toutes les versions de cette douloureuse affaire de viol pour en saisir les nuances – aussi désagréables soient-elles. De cette navigation en zone grise, jouant de son ambiguïté, un seul fait est certain : Ben Attal et Suzanne Jouannet sont des talents à suivre.

© CURIOSA FILMS – FILMS SOUS INFLUENCE – GAUMONT – FRANCE 2 CINÉMA

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