Dix ans après avoir mis en scène le court intitulé Manù, Jérémie Elkaïm s’attèle à son premier long-métrage, Ils Sont Vivants. L’adaptation du roman autobiographique de Béatrice Huret, Calais mon amour, qui comprend Marina Foïs, Seear Kohi, Laetitia Dosch ou encore Jan Hammenecker au casting. Présenté en avant-première lors de la vingt-deuxième édition de l’Arras Film Festival, le long-métrage se centre sur le parcours d’une femme découvrant la réalité de la ‘jungle’ de Calais, ce qui va bouleverser sa vie…

Se voyant confier un sujet pour le moins casse-gueule, Jérémie Elkaïm parvient à déjouer les pièges se dressant sur son chemin en choisissant de s’éloigner du manichéisme lui tendant les bras. En résulte un drame plus complexe qu’il n’y paraît, Ils Sont Vivants s’avérant être une aventure humaine tout en nuances où l’amour et la tolérance s’entremêlent sur l’autel de la haine de l’autre.

A la base du long-métrage, une histoire vraie, vécue par Béatrice Huret, qui s’est confiée à l’écrivaine/journaliste Catherine Siguret sur son parcours et plus particulièrement sa romance avec Mokhtar, un immigré iranien arrivé clandestinement en France – pierre angulaire de Calais mon amour, écrit à quatre mains par les deux femmes. Un roman qui a inspiré Marina Foïs, à l’origine de son adaptation, proposant le soin de porter cette œuvre à l’écran à Jérémie Elkaïm, qui fait ainsi ses premiers pas aux manettes d’un long-métrage. Officiant à l’écriture aux côtés de Gilles Marchand et Arthur Kahn, le réalisateur avait la lourde tâche de ne pas tomber dans la facilité, avec des thématiques prêtant au film social pur et dur – pouvant amener à un exercice démonstratif où tout est soit noir soit blanc. Traiter à la fois de la crise migratoire et de l’extrême droite n’est pas chose aisée mais heureusement, le scénario s’emploie à rester dans les zones de gris, avec une approche réaliste qui lui sied bien.

Venant d’enterrer son mari policier, Béatrice se retrouve à vivre avec son fils et sa mère, venue l’aider en ces temps difficiles. Enfermée dans une existence qu’elle semble mépriser, où l’épanouissement est loin d’être de mise, cette infirmière opérant dans un service de gériatrie est arrivée à un stade où le cynisme l’emporte sur tout le reste. Un état d’esprit sur le point de changer alors qu’en rentrant de son service, elle raccompagne – à regret – un immigré soudanais, cherchant à rentrer dans la jungle de Calais. Un endroit de fortune où des milliers de personnes, issues de différents horizons, cohabitent dans des conditions déplorables. Face à cette vision, Béatrice décide de déposer des vêtements aux associations présentes sur le camp, point de départ d’une introspection pour cette dernière.

Au cœur d’Ils Sont Vivants, la solitude de deux êtres que tout oppose, attirés l’un vers l’autres par les forces du hasard, leur rencontre n’étant aucunement prédestinée. Caméra au poing, Jérémie Elkaïm prend un axe proche du documentaire, nous montrant sans fards ni misérabilisme la réalité de la situation à Calais, pour une âpre immersion au sein de ce milieu où l’on ne parle pas de vie mais de survie. A travers les yeux de notre protagoniste principal, nous découvrons un quotidien fait de bric et de broc, où des bénévoles font tout leur possible pour améliorer des conditions insalubres. Un point de vue qui fait la force de la première partie du film, qui vise juste dans sa peinture d’un microcosme régit par l’austérité et l’urgence, les solutions paraissant futiles, s’apparentant à poser un pansement sur une plaie béante. C’est dans ce contexte difficile que Béatrice croise le regard de Mokhtar, enseignant iranien arrivé illégalement sur le territoire français, instaurant un climat électrique, qui va alimenter la suite des évènements, où l’on s’éloigne du camp pour mieux montrer que la question migratoire est un sujet de société.

L’inéluctable attraction entre nos deux âmes brisées fait bifurquer le métrage vers une ode à la tolérance, par le biais d’une passion incandescente, s’enflammant petit à petit avant de laisser place à la passion charnelle. En acceptant de loger Mokhtar et son compagnon de voyage, Béatrice attire l’attention sur elle, son action étant mal perçue par ses proches, ses voisins. Tandis que notre veuve apprend à communiquer avec son invité, mettant de côté ses préjugés sur l’autel de l’amour, la communauté dans laquelle celle-ci navigue croit dur comme fer en l’introduction du loup dans la bergerie. De cette ambiguïté réside l’attrait d’Ils Sont Vivants, qui tend à explorer les multiples facettes de ces fameuses nuances de gris, Jérémie Elkaïm et ses co-scénaristes tirant profit de cet ancrage dans la mouvance extrémiste pour mieux remettre en perspective cette notion de haine de l’autre, avec notamment le poids du jugement pesant sur les épaules de nos amoureux en devenir.

Un point essentiel, qui se voit quelque peu effacé dès lors que Béatrice et Mokhtar succombent à la romance, le réalisateur s’attelant à se concentrer sur ce rapport au corps, sans artifices, avec de nombreuses scènes intimes à la clé – tirées en longueur. Un choix artistique dont ont comprend la démarche, la mise en scène aidant à symboliser l’union de la chair, à alimenter le brasier ardent de l’amour, mais cela vient ralentir le rythme du film en fin de parcours ce qui est dommage. Malgré cela, dans son ensemble, nous nous laissons emporter dans ce tourbillon sentimental fougueux, qui redonne le goût de la vie à son héroïne, incarnée avec grâce par Marina Foïs. Impliquée de A à Z, l’actrice se laisse aller à toute une palette d’émotion sous la caméra de Jérémie Elkaïm et livre une partition de haut vol, se donnant corps et âme dans le rôle de Béatrice – l’atout phare de ce drame constamment sur le fil.

Baptême du feu réussi pour Jérémie Elkaïm, qui s’accapare avec intensité d’un sujet brûlant pour son premier long-métrage, ce qui lui devait d’être précautionneux dans sa démarche – ce qui est fort heureusement le cas. Dans la mouvance du cinéma vérité, Ils Sont Vivants est un drame humain tout en nuances où l’amour et la tolérance s’entremêlent sur l’autel de la haine, le tout servi par une distribution investie, à commencer par Marina Foïs, bouleversante.

© Memento Films Distribution

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