Sept ans Mister Babadook, la réalisatrice Jennifer Kent est de retour derrière la caméra avec The Nightingale, drame réunissant au casting Aisling Franciosi, Sam Claflin, Baykali Ganambarr, Damon Herriman, Ewen Leslie, Magnolia Maymuru et Charlie Shotwell, nous entraînant dans une Australie sous domination anglaise où la vie d’une jeune bagnarde irlandaise va basculer dans l’horreur alors qu’elle s’espérait à une existence paisible en compagnie de sa famille…

Avec The Nightingale, Jennifer Kent signe un retour pour le moins percutant, nous livrant une œuvre brutale et abrupte, abordant frontalement sa thématique de la violence afin de nous montrer son universalité dans un monde ravagé par les bassesses de l’Homme.

Pour appuyer sa réflexion sur cette part sombre régnant en chacun, la réalisatrice ne prend aucun détour et emprunte le chemin inverse de Mister Babadook, la vérité nue prenant le pas sur le pouvoir de suggestion, nous forçant à regarder droit dans les yeux le drame qui se déroule à l’écran et ce pour un résultat certes dérangeant mais servant le propos du long-métrage. Ainsi, il est difficile de rester insensible devant ce nouvel essai, qui réussit à provoquer le malaise recherché grâce à un scénario détricotant les codes du ‘rape and revenge’ pour s’en éloigner et proposer une relecture du genre en élargissant son horizon, évoquant des problématiques sociétales et historiques qui aujourd’hui encore sont d’actualité.

Ainsi, The Nightingale nous plonge en plein XIXe siècle et nous emmène en Australie, dans les terres vierges de la Tasmanie, qui vont être le théâtre d’un macabre spectacle. Alors qu’elle pensait pouvoir vivre paisiblement avec son mari et son bébé, Clare, une jeune bagnarde irlandaise amenée sur ce continent pour purger sa peine, va voir tous ses espoirs s’effondrer et ce à cause d’un seul homme. Sous le joug du lieutenant Hawkins, son officier de tutelle, la jeune femme va être la victime de ses agissements et, suite à une agression sexuelle, la situation va dégénérer, avec un massacre en guise d’apothéose morbide. Laissée pour morte aux côtés des cadavres de ses proches, éliminés par pur plaisir sadique par le soldat gradé et ses hommes, Clare ne va avoir qu’un but en tête, la vengeance.

Passé cette première demi-heure cauchemardesque et déstabilisante, dans le bon sens du terme car ceci est l’effet recherché par Jennifer Kent, le long-métrage gagne en intensité et en intériorité tandis que nous suivons la croisade de notre héroïne. Emplie de haine et obnubilée par cette irrépressible envie de se confronter à ceux qui lui ont enlevé ce qu’elle avait de plus cher à ses yeux, notre héroïne se lance tête baissée à leur recherche, ce qui n’est pas une mince affaire en ce territoire hostile. Accompagnée d’un ‘boy’, Billy, Clare arpente la jungle pour assouvir sa soif de représailles, une quête cathartique qui va être l’occasion pour cette dernière – et pour nous spectateurs – de se confronter à la nature bestiale de l’Homme.

A travers ce périple, The Nightingale prend tout son intérêt car offrant une mise en perspective de cette violence, qui est possible grâce aux choix scénaristiques établis à commencer par la temporalité et le lieu du récit. La réalisatrice australienne évoque sans fioritures les ravages de la colonisation dans son pays où la violence régnait en maître et a bouleversé les us et coutumes des civilisations prospérant sur l’île avant l’arrivée des anglais. De ce fait, en plus du sort subit par Clare, nous sommes mis face à la traite ignoble des indigènes, chassés de leurs propres terres, abattus, torturés, humiliés, violés. Une animosité qui instaure un climat délétère et corrompt les esprits, la violence engendrant la violence. Ce cercle vicieux est très bien retranscrit par le parcours de notre héroïne et de son compagnon d’infortune, Billy, qui a également tout perdu depuis l’arrivée des colons.

De cette souffrance parallèle, qui ne pourra s’estomper qu’après avoir répondu à l’appel du sang, les liens de notre tandem vont se renforcer et de leur inimitié initiale va naître un sentiment d’attachement, de respect. Dans l’adversité, les rapports de forces s’inversent et une lueur d’espoir apparaît dans cet océan de noirceur quand nos personnages se mettent à se comprendre malgré leur différences, qu’elles soient ethniques ou sociales, preuve que tout n’est pas perdu en ce bas monde. De ce fait, outre ce déchainement de barbarie, l’autre force de The Nightingale réside dans la relation entre ces protagonistes que tout oppose, que l’on doit avant tout à la performance de Aisling Franciosi, qui offre une prestation de haute-volée, tout en intensité, en fragilité, et à Baykali Ganambarr qui, pour son premier rôle, électrise l’écran, une belle révélation. Retenons également un Sam Claflin qui compose avec un personnage détestable, le fameux lieutenant Hawkins et s’en sort avec les honneurs.

Enfin saluons Jennifer Kent qui met en valeur son scénario avec une réalisation austère, amplifiant l’atmosphère anxiogène, étouffante mis en place avec un soin particulier sur le regard, nombre de séquences nous mettant face à la détresse des personnages et à la perversité de certaines actions perpétrées. La violence y est dépeinte dans son plus simple appareil, pour un résultat cru mais nécessaire.

Avec The Nightingale, Jennifer Kent nous met face à l’animosité de l’Homme, que ce soit par le prisme de la misogynie ou celui du racisme, pour un drame crépusculaire et radical, établissant un sombre constat sur le colonialisme et ses dérives. Cruellement implacable, ce deuxième essai de la réalisatrice bouscule le spectateur et déjoue intelligemment les attentes du genre dit du ‘rape and revenge’ pour proposer une réflexion sur la violence. Éprouvant mais diablement réussi.

© Koch Films

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