[Critique] Black Medusa, créatures de la nuit
Neuf après le documentaire Babylon – co-réalisé avec Ala Eddine Slim – Ismaël et Youssef Chebbi sont de retour derrière la caméra avec leur premier long-métrage de fiction, intitulé Black […]
Pour ceux qui se font des films en séries
Neuf après le documentaire Babylon – co-réalisé avec Ala Eddine Slim – Ismaël et Youssef Chebbi sont de retour derrière la caméra avec leur premier long-métrage de fiction, intitulé Black […]
Neuf après le documentaire Babylon – co-réalisé avec Ala Eddine Slim – Ismaël et Youssef Chebbi sont de retour derrière la caméra avec leur premier long-métrage de fiction, intitulé Black Medusa. Présenté en avant-première mondiale lors du Festival International du Film de Rotterdam, celui-ci comprend au casting Nour Hajri ainsi que Rym Hayouni et se concentre sur la double-vie d’une jeune tunisienne, Nada, sombrant progressivement dans une spirale violente et sanglante…
Avec Black Medusa, Ismaël et Youssef Chebbi détournent les codes du film noir pour nous proposer une réappropriation moderne du mythe de la méduse – figure mythologie devenue à travers les époques le puissant symbole de rage et de pouvoir – nous proposant ainsi une plongée âpre et brute dans un univers trouble où s’entremêlent vengeance et violence.
Flirtant entre réel et imaginaire, ce que renforce une narration empruntant le chemin du conte, le long-métrage se concentre sur le parcours ravageur d’une anti-héroïne aux deux facettes : réservée la journée, prédatrice la nuit. Tel un spectre arpentant les rues désertes et vides de Tunis, Nada fait office de créature ténébreuse, traquant son ennemi mortel. L’Homme. En période post #MeToo, cette inversion des valeurs et ce dézingage en règle du patriarcat résonne avec force, d’autant plus qu’artistiquement et structurellement, l’emphase est mise sur la noirceur, où la nuance est aux abonnées absentes tout comme un quelconque sens de la moralité.
C’est donc un tableau lugubre que nous peignent Ismaël et Youssef Chebbi avec un récit divisé en neuf chapitres, chacun représentant une soirée de ‘chasse’ de notre principale protagoniste. Un choix scénaristique leur permettant d’éviter le superflu et de tailler dans le vif du sujet même si ce parti-pris limite quelque peu les enjeux du film. Ainsi, en restant volontairement flou quant au contexte ayant mené Nada à faire de la gente masculine sa cible prioritaire – un point qui ne sera abordé que lors d’une scène imagé et perturbante – la volonté affiché est de jouer la carte de la nébulosité. Si au départ cela peut surprendre, on se laisse progressivement immergé dans cet univers opaque où l’être humain est brossé selon son côté primal, bestial. Alors que Nada s’enfonce petit à petit dans les ténèbres, sa quête obsessionnelle l’emmenant sur un chemin de plus en plus brutal, Black Medusa gagne en intensité. Notre ange de la vengeance se mue en meurtrière et s’engage vers un point de non-retour alors que les victimes s’enchaînent.
Distillant une atmosphère à la lisière du fantastique et se rapprochant du giallo Black Medusa intrigue et ne laisse clairement pas indifférent. Ce qui fait la qualité de ce conte baroque, allégorie d’une société froide et obscure, est l’alliance d’une réalisation léchée et d’une direction d’acteur maitrisée. L’idée de tourner en noir et blanc sert le scénario car embrassant ce concept de navigation en eaux troubles avec notamment le soin porté par Imed Aissa au niveau de la photographie, ce dernier jouant habilement avec les contrastes, oscillant entre ombre et lumière. Un effet de style qui fonctionne, couplé à la mise en scène inspirée d’Ismaël et Youssef Chebbi, qui puise dans l’architecture de Tunis pour renforcer l’aura surréelle de leur œuvre. Les gens y déambulent telles des âmes en peine, leur ombre se projetant sur la façade de ces bâtiments immenses et le bruit de leur pas retentissant dans un écho fracassant à travers les rues – désertes – dans la ville.
Une ambiance glaçante décuplée par l’interprétation envoûtante de Nour Hajri, qui porte le film sur ses épaules et magnétise l’écran dans la peau de Nada, réussissant à faire transparaître la dualité de son personnage, crépusculaire. Entre calme olympien – instillant un certain malaise – et accès de rage, l’actrice parvient à capturer l’essence de la créature de la nuit qu’elle incarne pour un résultat captivant.