Sept ans après sa première réalisation, L’Air De Rien, Grégory Magne revient derrière la caméra avec Les Parfums, une comédie douce-amère réunissant au casting Emmanuelle Devos, Grégory Montel, Gustave Kervern, Zélie Rixhon, Sergi López ou encore Eva Chico Veiga et nous faisant suivre les déambulations d’un chauffeur avec une cliente pour le moins exigeante, Anne Walberg, une célébrité dans le monde du parfum (critique à lire ici).

À l’occasion de sa sortie sur grand écran, SeriesDeFilms s’est entretenu avec le scénariste et réalisateur, que l’on remercie de sa disponibilité, afin de revenir sur Les Parfums et son développement.

SeriesDeFilms : Pour votre second long-métrage, vous orientez votre caméra sur le métier de nez, ce qui insuffle dès le départ un parfum rafraîchissant, cette profession étant rarement mise en avant. Comment s’est déroulée l’écriture du scénario sur ce point précis ? Vous êtes-vous immergé dans ce milieu de la parfumerie pour mieux en extraire l’essence ?

Grégory Magne : (rires) C’est joliment écrit. Immerger ce n’est pas exactement le cas. Dans un premier temps j’ai fait appel à mes souvenirs, parce que c’est une question qui me travaillait depuis un certain temps, sans que j’en sois forcément conscient. J’ai toujours été frappé par la puissance des souvenirs olfactifs. Comment une odeur, un parfum, de nature ou d’un lieu, vous ramène de manière très précise en un instant en un autre endroit. Dans la foule quand il y a un parfum que je connais, d’essayer de trouver qui le porte. Une fois ce phénomène m’est arrivé et je me suis dit “tiens mais quelqu’un qui aurait l’odorat particulièrement développé, quelles conséquences cela aurait sur son quotidien, sur son caractère, sur son rapport au monde”. Quelqu’un qui percevrait d’abord les gens, les choses par le prisme de l’odeur, quel caractère il pourrait avoir. C’est comme ça qu’est née le personnage d’Anne Walberg, le nez interprété par Emmanuelle Devos dans le film.

D’abord j’ai écrit à partir de ce que j’avais pu lire, entendre ci-et-là sur ce métier, sans forcément beaucoup me documenter et dans un deuxième temps je suis allé voir des nez, pour voir comment ils travaillaient, pour leur faire lire le scénario pour accueillir leurs avis.

À travers ce road-trip olfactif, vous vous intéressez à deux parcours mais surtout à deux solitudes, un point de vue que l’on retrouve dans votre premier film, L’Air De Rien.

Dans le premier long-métrage il y avait moins ce côté solitude mais en tout cas il y a une vraie parenté dans le côté road-trip, dans le côté province, dans le côté deux personnages qui ne sont pas fait pour s’entendre, qui est un schéma classique de comédie. Moi ce que j’aime là-dedans, dans ce prétexte à créer de la comédie, est ce qu’il se passe dans une rencontre. Dans nos vies par exemple, quand on rencontre quelqu’un qui va par devenir votre ami, qui va vous marquer, on ne le sait pas immédiatement et cela se repère à des choses beaucoup plus subtiles qu’une rencontre amoureuse et moi ce que j’aimais c’était l’idée d’écrire ça, ces petites choses, ces petits moments, ces petits regards, ces silences dans lesquels se construisent une amitié ou une relation importante.

D’ailleurs, malgré ce schéma classique, vous ne vous êtes pas engouffré dans la facilité quant à la relation entre Anne et Guillaume dans le sens ou la rencontre amicale et professionnelle prédomine sur la rencontre amoureuse, qui n’a pas sa place ici.

Oui c’est le défi. C’est marrant d’ailleurs, je lisais les critiques du film, qui vient de sortir et la plupart ont bien perçu cela mais quelques-uns ont moins goûté leur plaisir et se disent “cette histoire là on l’a déjà raconté” et moi ce que je trouvais intéressant, c’était de prendre un schéma justement éculé on va dire et à l’intérieur de celui-ci faire quelque chose de nouveau, de surprenant, retravailler l’exercice d’une autre manière. Et c’est tout aussi difficile que de partir d’un schéma qui existe.

Les Parfums marque votre seconde collaboration avec Grégory Montel, qui était de la partie dans L’Air De Rien. Comment s’articule votre tandem et comment travaillez-vous ensemble ?

Avec Greg c’est très particulier dans le sens où on se connaît très bien maintenant, depuis L’Air De Rien puisque comme on avait mis un peu de temps à monter le film, cela faisait deux, trois ans qu’on se connaissait à sa sortie. Donc quand j’écris, je sais très précisément ce que j’imagine à entendre et lui quand il me lit, je pense qu’il connaît aussi mon écriture et qu’il voit assez bien comment la scène fonctionne. Du coup c’est très différent avec Emmanuelle Devos, qui va rester sur le texte et les dialogues tandis que Greg Montel, qui sait que ce qu’il a de précieux est dans son naturel, va apprendre son texte moins précisément ou plus tardivement. Lui il mise plus sur l’instant. Après je le connais bien, je sais quand il est juste et quand il ne l’est pas encore. Je suis exigeant avec lui. Un autre comédien, il peut faire la blague on va dire, faire quelque chose qui me satisfasse alors que Greg il faut vraiment qu’il obtienne ce que j’avais imaginé à l’écriture.

Parce que vous connaissez son potentiel.

Oui. Moi ça me regarde mais je le trouve meilleur là que dans d’autres choses que je peux le voir faire. Dans ses autres choses, je le vois quand il est dans la facilité et moi je ne lui laisse pas trop la possibilité d’être juste facile. Je sais qu’il peut être très bon et c’est ce que j’essaye d’obtenir.

GrégoryMagne
Grégory Magne © Pascal Chantier

Comme vous venez de l’évoquer, cette complémentarité entre Emmanuelle Devos et Grégory Montel ajoute, à mon sens, une certaine saveur au long-métrage.

Oui. C’est surtout qu’il y a un parallèle entre leurs deux approches du métier, leur rapport en tant que personne et le rapport des personnages. Anne Walberg, c’est quelqu’un de précis, qui se lève tôt le matin pour faire ses exercices et Guillaume Favre, c’est un chauffeur qui n’a aucune des compétences requises pour l’être, il n’a presque plus son permis. Donc c’est bien que ce soit un comédien un peu foutraque.

Les seconds rôles, comme ceux interprétés par Gustave Kervern et Sergi López sont aussi de bon contre-points aux caractères du tandem principal. Comment s’est déroulé leur participation à ce projet ?

Gustave et Sergi c’est typiquement les rôles où en tant que réalisateur on se fait plaisir, on rend hommage aux films qu’on a aimé. Toute la filmographie de Kervern et Delépine j’adore, je les ai tous vus en salles et pour Sergi López, je le suis depuis un film qui s’appelle Western (de Manuel Poirier), que vous ne connaissez peut-être pas parce qu’il n’est pas très connu. Dedans il forme un duo avec Sacha Bourdo et ce dernier joue le jardinier dans Les Parfums. C’est pour ça que j’ai monté ces scènes, entre-chassées, parce que j’avais envie de reconstituer ce tandem là à distance, car c’était un très beau film.

C’était votre plaisir de cinéphile.

Oui c’est ça, de cinéphile et de cinéphile de vingt ans, qui en voyant le film pourra reconnaître le cinéma qu’il aime. Western se passe en Bretagne, sur les routes, même s’ils sont plutôt à pieds, ils font un peu de stop de temps en temps. C’est un tandem et une histoire amitié aussi, je pense que beaucoup de choses que j’aime sont nés de là.

Dans l’atmosphère générale du film, se distille un parfum de mélancolie, qui prend le pas sur celui de la comédie.  Était-ce dans votre envie de ne pas être dans de la comédie pure et de vouloir rajouter une certaine profondeur ?

Je pense que je suis un peu mélancolique. En même temps, la mélancolie est toujours teintée de choses positives comme la tendresse, l’envie et le besoin de douceur. Les gens mélancoliques, des fois ils aimeraient qu’à table les gens se taisent (rires). Non pas qu’on est rabat-joie mais parce qu’on aime bien se contenter aussi d’un silence (rires). Moi je ne suis pas un gars qui suis très bavard dans un dîner en ville. Je trouve que la comédie n’est jamais plus utile que dans des moments un peu tristes ou mélancoliques justement. Je suis moins inventif face au pitch de vraie comédie où dès le résumé on sent pourquoi ça va être drôle, je ne dois pas être assez comique dans l’âme pour ça.

Je ne sais pas si vous avez vu Manchester By The Sea (de Kenneth Lonergan) mais dans le film il y a un moment absolument tragique, qui est l’incendie de la maison. (Casey Affleck) rentre chez lui après avoir acheté de l’alcool et il y a des ambulanciers qui sont en train d’emmener ses enfants. À ce moment-là, ils ont du mal à rentrer le brancard dans l’ambulance et c’est terrible car c’est comique et ça se situe dans l’instant le plus tragique. Il est tellement lourd ce passage et là ils arrivent justement à gêner encore plus le spectateur parce qu’ils le font rire malgré lui. Ils poussent la souffrance presque plus loin en étant drôles.

Tout ça pour dire que la comédie, ça n’exprime pas forcément des trucs marrants et moi j’aime bien ça. Je suis très anglo-saxon dans ce que j’aime, dans la comédie pas dans l’écriture, je n’ai pas cette prétention. Mais peut-être un peu à force (rires). C’est une vaste question, j’adore mais je pense que je n’ai pas fini d’y répondre. Par exemple, le prochain film que je suis en train d’écrire sera clairement plus un drame sur le papier et pour autant je vois bien en l’écrivant que j’ai des envies de petites incartades qui peuvent être comiques et je sens que ça peut être bien. Ce ne sera pas moins un drame parce que c’est drôle.

Pour terminer, la bande originale, composée par Gaëtan Roussel, ajoute une aura particulière à votre long-métrage. Comment avez-vous travailler de concert sur cette note musicale ?

C’était plus que de concert parce que Gaëtan a fait quelques maquettes, parmi lesquelles j’ai choisi le thème ou l’esprit et après il m’a dit “viens en studio” donc je suis venu avec ses musiciens, qui sont incroyables et qui jouent avec toute la scène française. Le clavier et la guitare sortaient de quatre ans de collaboration avec Johnny Halliday. Il ont joué pour Francis Cabrel, Vanessa Paradis. Gaëtan dirigeait tout le monde et moi sur mon canapé je pouvais me permettre de dire “si on faisait plutôt comme-ci, comme-ça, oui j’aime bien ça”. C’était vraiment très détendu, sans orgueil mal placé et même généreux. Il y a eu cette chanson de fin, dont il m’a fait le cadeau et qui je trouve est un moment qui fait partie prenante du film parce qu’elle prolonge l’instant de manière assez émouvante et assez sublime. Un chouette cadeau et une chouette rencontre, que ce soit lui ou ses musiciens.

Propos recueillis par Romain Derveaux

 

 

 

 

 

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