Comptant parmi les invités de la vingtième édition de l’Arras Film Festival, le scénariste et réalisateur Dominik Moll est venu présenter son nouveau long-métrage intitulé Seul Les Bêtes, l’adaptation du […]
Comptant parmi les invités de la vingtième édition de l’Arras Film Festival, le scénariste et réalisateur Dominik Moll est venu présenter son nouveau long-métrage intitulé Seul Les Bêtes, l’adaptation du roman éponyme de Colin Niel comprenant au casting Denis Ménochet, Laure Calamy, Valeria Bruni Tedeschi, Damien Bonnard, Nadia Tereszkiewicz et Guy Roger N’drin, nous entraînant dans une mystérieuse affaire de disparition au coeur des hauts plateaux des Causses. (critique à lire ici).
Cette projection a été l’occasion pour SeriesDeFilms de rencontrer Dominik Moll et de s’entretenir quelques instants avec lui, pour une interview à lire ci-dessous :
Après une parenthèse dans la comédie avec Des Nouvelles De La Planète Mars et votre retour dans l’univers des séries avec Eden, qu’est ce qui a motivé votre retour à vos premières amours, à savoir le thriller, avec Seules Les Bêtes ? Est-ce votre découverte du livre éponyme ou alors vous aviez déjà dans l’idée de revenir à votre genre de prédilection ?
Non, c’est toujours un peu au hasard des lectures, des idées qu’on a donc là c’était vraiment la rencontre avec le livre, ça me plaisait beaucoup que ce soit un retour au film de genre dans lequel on pouvait aussi projeter, raconter plein d’autres choses. On est dans un certain cadre mais on peut ajouter plein d’éléments, ce que je trouve intéressant.
D’ailleurs le roman de Colin Niel possède une structure originale et l’une des forces du film est la retranscription de cet univers et de cette atmosphère. J’aimerai savoir si, au niveau du scénario, vous aviez-eu des difficultés pour transposer cette adaptation avec votre co-scénariste Gilles Marchand ?
La difficulté qu’on pressentait au départ était que dans le livre les récits sont à la première personne, avec beaucoup de monologues intérieurs et de réflexions de la part des personnages. La difficulté était de transposer cela dans des situations objectives, en les observants de l’extérieur. En fin de compte, l’adaptation s’est faite assez facilement, on a effectivement gardé la structure du livre dans les grandes lignes, cette construction par chapitres et par points de vue successifs.
La principale différence est que dans le roman c’est vraiment cinq chapitres et nous le quatrième et le cinquième, ceux d’Armand à Abidjan et de Michel, le personnage de Denis Ménochet, on les a fondu en un seul et dans ce quatrième chapitre il y a des allers-retours entre les intrigues de ces personnages.
Pour mieux resserrer le dénouement final ?
Comme il y avait toutes ces scènes de chat aussi, cela paraissait difficile de ne rester que d’un côté, pour l’identification au personnage. Il était pour nous plus intéressant d’avoir les deux points de vue qui se mélangent.
L’auteur du roman, Colin Niel, a t-il été impliqué d’une manière ou d’une autre à l’élaboration de votre adaptation ou pas du tout ?
Alors il n’a pas participé à l’écriture du scénario, par contre nous l’avons toujours tenu au courant de l’avancée du projet, il a lu les différentes versions du script et il est venu au montage, parce que cela l’intéressait. C’était la première fois que l’un de ses livres était porté sur grand écran et d’ailleurs il a été très content du résultat, ce qui n’arrive pas souvent avec les adaptations (rires), les auteurs disant “qu’est-ce que vous avez fait de mon oeuvre ?” et là il est ravi du film, ce qui me fait très plaisir.
Au niveau de la réalisation, j’ai particulièrement apprécié votre appropriation du cadre, en particulier des hauts plateaux des Causses, ainsi que votre manière de filmer la solitude, où vous jouez avec les échelles de grandeur. Comment avez-vous appréhendé votre mise en scène ? Aviez-vous déjà tous des plans en tête ?
Dans le livre, la partie française se passe déjà dans les Causses, qui était une région que je connaissais un peu donc j’étais content que ça se déroule là-bas, parce que c’est un endroit que j’aime beaucoup et que j’ai toujours trouvé très cinématographique avec un côté très western avec ces grandes étendues. C’est vrai que les paysages contribuent à montrer l’isolement de tous ces personnages.
Vous avez réussi à créer une ambiance particulière avec ces décors et ce cadre hivernal, il n’y a pas eu de difficultés majeures durant le tournage dans les Causses avec ce climat ?
On a eu du bol (rigole), parce qu’en fait on ne savait pas s’il allait neiger, il y a des hivers où il n’y en a pas du tout dans le Causse donc on priait.
Pas eu besoin de procéder à des trucages alors ?
Si quand même, pour la tempête il a fallu rajouter de la neige mais sinon on a vraiment été chanceux parce qu’il a commencé à neiger au moment où il fallait et que du coup on a pu avoir ces paysages enneigés, comme on les voulait, c’était super.
Vous jouez également avec les contrastes, notamment dans le parallèle avec Abidjan et ses rues bondées, qui est en opposition avec le paysage français mais également avec la trajectoire d’Armand et sa solitude, qui est exacerbée par ce cadre précis, aidant à notre empathie pour le personnage malgré son histoire, le montrant finalement touchant.
Ce qui me plaisait bien dans le livre sont ces personnages, qui sont tous dans une misère affective mais qui ne s’y complaisent pas. Ils ne sont pas dans l’auto-apitoiement et essayent de s’en sortir, de tendre vers un idéal amoureux, parfois de manière étrange et décalée mais en tout cas ils sont actifs. S’ils n’avaient été que passifs, cela n’aurait pas été très intéressant comme histoire et là, le fait qu’ils soient tout en train d’essayer fait que l’intrigue fonctionne.
Comment avez-vous réussi à jouer avec les codes du thriller pour lui conférer une dimension sociale, avec ces histoires d’agriculteurs, sans misérabilisme, appuyant ainsi sur le côté dramatique du film ?
Il n’y avait pas à appuyer beaucoup car c’est vrai que les éleveurs, notamment sur le Causse, sont des gens qui travaillent dur, qui sont effectivement isolés géographiquement, qui ont du mal à s’en sortir même financièrement et ce qui m’intéressait est que même si l’on est à cheval sur deux continents, sur chacun d’eux les personnages sont plutôt en bas de l’échelle sociale. Ce n’était pas la France ou l’Europe riche contre l’Afrique pauvre mais finalement tous les protagonistes sont sur un pied d’égalité et chacun essaye de se démener.
Parlons de votre direction d’acteur et de cette mise en avant, surtout parmi le casting masculin, de ce mutisme voire de ce côté rustre qui les caractérisent.
(rires) Je pense qu’une grande partie de la direction d’acteur se fait dans le choix des comédiens. Si on se plante là-dessus, c’est plus compliqué de les diriger. Là, il se trouve que j’ai eu la main heureuse. Chacun s’approprie le rôle et c’est ensuite une question de confiance, d’échanges. Un tel casting pour un réalisateur c’est du pain béni, du bon matériel sur lequel s’appuyer.
Concernant la musique présente en filigrane dans le long-métrage, (Tu T’en Vas, d’Alain Barrière), était-ce un choix prévu dès l’écriture ? En tout cas elle correspond bien à l’atmosphère ambiante, emprunte de cette solitude que nous évoquions.
Ce moment n’existe pas dans le livre. Très vite on a eu cette idée que le personnage de Joseph, incarné par Damien Bonnard, écoute une chanson un peu vieillotte lié à ce que sa mère pouvait elle-même écouter, vu que celui-ci semble faire une fixation sur sa maman mais à l’écriture du scénario, on ne savait pas encore quel morceau ce serait, on avait même noter une chanson des Bee Gees et en fait c’est au montage seulement que ça s’est décidé.
C’est le monteur qui a eu l’idée de ce titre d’Alain Barrière et c’est vrai que quand il me l’a fait écouter je me suis dit que ça correspondait, d’une part parce que c’est un duo, on est dans le rapport amoureux, ça parle aussi de solitude, de froid, de neige enfin ça tombait vraiment très très bien et du coup pour le générique de fin on a demandé à Bertrand Belin et Barbara Carlotti de faire une reprise de Tu T’en Vas, que j’aime vraiment beaucoup.
Cette froideur elle se retrouve même dans les rapports charnels et plus généralement dans tout ce qui se rapporte au corps avec toutes les relations émaillant le long-métrage.
Disons que comme presque tous les rapports de couple sont déséquilibrés. Le seul qui semble équilibré est Armand à Abidjan avec Monique, pour eux cela ne fonctionne pas pour des raisons économiques mais sinon c’est vrai que ce sont des rapports asymétriques.
Il y a même un côté macabre avec cette thématique du corps où vous jouez des effets propres au genre, renforçant certaines séquences clés, particulièrement durant le chapitre centré sur Joseph avec cette conclusion où vous nous prenez par surprise.
Oui, oui, j’aime beaucoup ces moments. D’ailleurs pour l’anecdote même Damien Bonnard, qui avait lu le scénario plein de fois, il avait oublié que son personnage devait se suicider à la fin de sa scène et du coup on lui a dit “Demain on tourne la scène où tu te jettes dans la crevasse” et il a répondu “Ah, comment-ça ?” donc c’était assez drôle car il avait complètement refoulé la propre mort de Joseph.
Que pensez-vous des premières réactions sur votre film ? Vous avez été le présenter notamment à la dernière Mostra de Venise, quels en ont été les retours ?
Pour l’instant les premiers retours sont positifs, on sent que les spectateurs sont contents d’avoir une proposition qui est à la fois un film de genre avec les codes qui vont avec et qui en propose une lecture singulière avec une construction inhabituelle, des personnages auxquels on s’attache. Il y a tout ce côté film noir, qui se veut ludique dans sa construction, ce que les spectateurs apprécient beaucoup car ils sont toujours en train de participer au long-métrage et de se questionner, avec ces scènes que l’on revoit sous un autre angle et ça les rend actifs. À chaque point de vue on a une nouvelle couche de récit, d’informations et visiblement c’est quelque chose de très apprécié.
Tant mieux, tout s’annonce bien pour vous.
Oui, oui d’ailleurs il a été montré au Festival Du Film International à Tokyo où il était en compétition et on a eu le Prix Du Public ainsi que le Prix De La Meilleure Comédienne pour Nadia Tereszkiewicz, ce qui est chouette.
Un grand merci à Dominik Moll ainsi qu’aux équipes de l’Arras Film Festival pour cet entretien.
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