La dix-neuvième édition de l’Arras Film Festival a été l’occasion pour SeriesDeFilms de rencontrer l’humoriste Kheiron pour la présentation en avant-première de Mauvaises Herbes, son second long-métrage en tant qu’acteur/réalisateur.

Le film, comprenant au casting Catherine Deneuve, André Dussollier ou encore Alban Lenoir, suit le parcours de Waël, un homme vivant de petits larcins avec Monique une retraitée, qui va devoir s’occuper de jeunes en difficulté scolaire. Ensemble ils vont apprendre à s’apprivoiser, à se faire confiance et à s’ouvrir aux autres.

La critique du long-métrage est à retrouver ici.

L’originalité de cette interview et qu’elle a été divisée en deux parties, la seconde étant désormais disponible suite à  la sortie de Mauvaises Herbes en DVD, un choix éditorial décidé d’un commun accord avec Kheiron, son long-métrage n’étant pas encore diffusé au cinéma à l’époque de notre rencontre, nous ne voulions pas que les spectateurs ne se fassent spoiler par la dernière question posée, celle-ci portant sur des séquences spécifiques. Voici la retranscription de ce sympathique entretien réalisé lors de la conférence de presse du film :

SeriesDeFilms (timidement) : Bonsoir.

Kheiron (l’imitant) : Bonsoir.

SeriesDeFilms : Après Nous Trois Ou Rien vous…(rit)

Kheiron : Toi t’es le timide de la bande j’ai capté.

SeriesDeFilms (rigolant) : Peut-être je ne sais pas.

Kheiron : Vous avez chacun votre personnage c’est génial, pardon continue.

SeriesDeFilms : Après Nous Trois Ou Rien, vous continuez avec Mauvaises Herbes à jongler entre comédie et drame. Qu’est-ce qui vous inspire le plus dans ces thématiques ? 

Kheiron : Entre la comédie et le drame ? Ce que je préfère entre les deux ?

SeriesDeFilms : Oui et comment on arrive à jongler entre les deux sans tomber dans le pathos ?

Kheiron : Alors pour la première question je pense que ce que je préfère ça reste l’humour. Je pense que l’humour est l’arme suprême pour faire passer n’importe quel message. Y a pas un mec tu le fais rire et il est énervé. ‘Ah putain tu m’as fait rire je te déteste’. Non on est content quand on rit et puis l’humour permet de véhiculer n’importe quel message et donner plus de portée à ce message. Prenez un politicien, un politicien qui va faire des blagues, même si on ne comprend pas de quoi il parle on va plus l’aimer alors qu’il dit peut-être n’importe quoi. Un sportif qui arrive à être drôle on va avoir plus d’empathie pour lui. L’humour c’est quelque chose d’universel qui parle à tout le monde. Et c’est mon métier, je suis humoriste à la base.

Pourquoi je parle de ces thématiques là ? Parce que je peux le faire avec humour et je peux emmener les sujets un peu plus loin donc je pense qu’entre l’humour et le drame, en gros faut que je me demande si je devais faire un film que humour ou que drame lequel je préférerai c’est ça ? Je préférerai l’humour quand même parce qu’il y a une communion avec le public, on les entend rire dans la salle, moi ça me fait quelque chose et j’ai l’habitude de faire des blagues et d’avoir un retour du public immédiat donc un film complètement dark où quand tu sors tu as mal au coeur, tu es énervé pour la semaine, je respecte mais moi je ne ferais pas ça.

Et comment on fait pour obtenir le parfait équilibre ? En fait c’est grâce à vous. C’est grâce au public. Il n’y a pas de secrets. C’est exactement comme pour mes spectacles, ce que je fais c’est que pendant que j’écris mon scénario, avant de l’envoyer aux producteurs je le fais lire à plein de gens qui n’ont rien à voir avec le cinéma. Des gens qui lisent des livres, des gens qui lisent pas de livres. Je leur demande de lire et moi je me mets plus loin, parce que souvent c’est chez moi et je leur dis ‘Vas-y t’inquiète, moi je calcule pas ce que tu fais. Vas-y moi je suis sur mon ordi’. Sauf qu’en vrai je note tout ce que j’entends et après on discute. ‘Pourquoi tu as rigolé là ? Pourquoi tu n’as pas rigolé ?  Est-ce que cette blague elle t’a fait rire ou tu ne l’as pas comprise ou elle t’a gêné ?’. On se parle de tout et à force de faire lire dix, vingt, trente, quarante personnes j’affûte le scénario et je sais que quand j’envoie le scénario, c’est la meilleure version possible.

Ensuite sur le tournage, il y a un travail qui se fait naturellement et le gros du boulot pour trouver le juste milieu entre l’humour et le drame c’est au montage. Et au montage pareil je teste. On monte six mois non-stop. Tous les cinq/six jours, j’appelle des gens, j’appelle trois potes et je leur dis ce soir venez chez moi avec quatre personnes qui ne se connaissent pas et donc il y en a un qui se ramène avec son père, l’autre avec un pote du boulot, la soeur du pote du boulot et un ami de son père. Et donc on arrive très vite à vingt/trente avec des gens de tous âges, toutes origines, toutes religions, toutes catégories socio-professionnelles. On a la France chez moi une fois par semaine et on voit le film et ensuite on discute. Je note où est-ce qu’ils rigolent, où est-ce qu’ils ne rigolent pas et ça m’aide à peaufiner mon montage, ça m’aide à comprendre pourquoi cette intrigue tout le monde passe à côté, pourquoi ils ne la comprennent pas, pourquoi cette blague là que moi je trouvais super marrante pourquoi personne ne rigole ? À un moment donné si personne ne rigole il faut la virer. Et c’est grâce au public que j’arrive à trouver le bon juste milieu, le bon équilibre entre ce que je vais garder en drame et en comédie. Voilà.

SeriesDeFilms : Et au niveau de la réalisation, concernant la scène d’introduction…

Kheiron : Du film ?

SeriesDeFilms : Oui.

Kheiron : Attends (s’adresse au public présent lors de l’interview) tout le monde l’a vu ? Parce que je ne veux pas les spoiler sur le truc (le public répond par l’affirmative) Tout le monde l’a vu, c’est bon, vas-y.

SeriesDeFilms : Ça a dû être un challenge de choisir ces plans précis pour, comment dire, ne pas vraiment choquer le spectateur mais le surprendre tout de même ?

Kheiron : C’est la première scène que j’ai écrite du film. J’ai commencé en me disant, c’est une comédie, comment surprendre le public ? Je me suis dit je vais faire un scène dramatique. Je veux que les gens se disent je me suis trompé de salle en fait, ce n’est pas le bon film. C’est ça le but, c’est l’objectif. Et donc je me suis dit…En fait cette scène elle dure une minute mais il y a quatre concepts à l’intérieur.

Le premier concept c’est de raconter un massacre vu du bas, à hauteur d’enfant et que des pieds racontent l’histoire. Il y a des pieds entrelacés d’amoureux, il y a des pieds d’enfants qui jouent au foot, des pieds de gens qui font du vélo. Chaque pied raconte une histoire. Donc une histoire au niveau du sol avec les pieds.
Deuxième concept, il n’y a aucun bruit. Ça veut dire qu’on a rien enregistré sur le tournage. Mon ingénieur du son il me disait “Kheiron tu vas en avoir besoin, au montage tu vas être dégoûté. Je lui ai dit va à l’hôtel, va à la piscine, kiffe, je n’ai pas besoin de toi je ne mettrai aucun son”. Donc il n’y a pas de mitraillettes, il n’y a pas de cris, il n’y a rien. Troisième concept, le son il est remplacé par une comptine d’enfant, une comptine en arabe, en libanais. Je trouve que ça glace encore plus, d’avoir une sensation dans les oreilles. En fait, c’est le principe de la cuisine moléculaire, je ne sais pas si ça vous parle. Un jour j’ai vu, c’était un dessert, c’est là que j’ai eu l’idée. C’était une glace, le jaune c’était fruit de la passion et le blanc autour c’était coco sauf que ça avait la forme d’un oeuf. J’ai trouvé ça immonde alors que c’était délicieux, mon cerveau me disait c’est un oeuf et je n’arrivai pas à manger alors que c’était fruit de la passion et coco. Là c’est la même chose, le fait d’avoir quelque chose de dramatique à l’écran avec quelque chose de positif à l’oreille, dans ton cerveau tu es dérangé un peu, il se passe un truc. Et le quatrième concept de cette scène, c’est de ne montrer qu’une seule goutte de sang, sur un drap blanc. Ça a été une prise de tête à tourner.

SeriesDeFilms : Même pour le jeu d’ombres, je trouve que c’était le meilleur plan…

Kheiron : Ah ouais. C’était une journée complète de tournage, c’était dans un petit village au Maroc, on avait déjà tout sélectionné, toutes les maisons et toutes les scènes. Avec mon cadreur et mon chef-op on était là, tous les figurants étaient en place et c’est nous qui passions de stands en stands en fait. On disait “et maintenant la scène du marché allez, maintenant la scène de truc…”. On a fait ça, on a enquillé beaucoup de plans en une journée c’était une journée spéciale c’est vrai

Voilà pour cet entretien, je remercie Kheiron pour sa bonne humeur et ses réponses précises et détaillées.

KMH-0009
©Mars Films/Jean-Claude Lother

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