Deux ans après la conclusion de sa cinquième saison, Better Call Saul s’est rappelé au bon souvenir de son public avec la diffusion tant attendue de son ultime chapitre, refermant ainsi la page de l’aventure Breaking Bad, qui dure depuis 2009. Un chant du cygne qui avait une lourde tâche, devant à la fois parachever la transformation de James McGill en Saul Goodman tout en s’alignant sur la mythologie de sa grande sœur, pour former un tout cohérent. Peter Gould et Vince Gilligan sont-ils parvenus à imbriquer toutes les pièces de leur immense puzzle ?

Il est rare qu’un spin-off réussisse à égaler voir surpasser l’œuvre dont elle est dérivée et pourtant, contre toute attente, Better Call Saul a su se démarquer entre trouvant sa propre voie tout en donnant un relief supplémentaire à Breaking Bad – dont elle est le préquel. La progressive transformation de Jimmy McGill vers l’avocat véreux qui n’hésitera pas à se salir les mains pour Walter White a su gagner en intérêt, nous éclairant sur un pan de l’univers conçu par Vince Gilligan – ici grandement épaulé par Peter Gould, à l’origine de personnage de Saul Goodman.

Ainsi, depuis 2015, cette lente descente vers le côté obscur de la loi nous a permis d’en savoir plus sur des figures phares de la série-mère telles que Mike, Gus, la fratrie Salamanca – et d’autres membres éminents du cartel de la drogue avant que l’ego démesuré d’Heisenberg vienne tout semer mort et désolation – tout en n’oubliant pas de nous présenter des petits nouveaux dotés d’un fort potentiel, à l’image de Nacho mais surtout Kim Wexler, véritable MVP du show, dont le rôle n’a cessé de prendre de l’ampleur au fur et à mesure que sa relation avec Jimmy a évolué. De quoi faire cogiter les fans quant au sort réservé à madame McGill qui, par la force des choses aura façonné notre escroc en devenir. Une question qui prend une importance capitale alors que la fin du parcours se dessine et que nous nous rapprochons de la timeline de Breaking Bad. Comme on s’y attendait (avec une crainte certaine), pour cette dernière saison, les événements ne peuvent que s’orienter vers la tragédie tandis que l’arrivée de Walter White dans l’équation se rapproche inéluctablement.

Que ce soit dans le passé ou le futur, nous sommes à l’aube d’un moment charnière, où tout peut basculer. Ce qui profite à l’équipe créative, toujours prompt à jouer avec les nerfs des fans, pouvant ainsi s’atteler à ce qu’elle sait faire avec brio, nous surprendre. Divisée en deux parties distinctes lors de sa diffusion, avec une courte pause pour reprendre notre souffle, cette salve de treize épisodes s’apparente à des montagnes russes, préférant tout d’abord faire monter en douceur les enjeux pour mieux multiplier les loopings avec des coups d’éclats scénaristiques pour le moins retentissants. Même si nous savons comment se termine le parcours de la plupart des protagonistes, Vince Gilligan et Peter Gould ne se reposent pas sur ces acquis et arpentent des chemins de traverse pour déjouer certaines attentes. Ce qui se vérifie concernant le conflit opposant Gus Fring à Lalo Salamanca, qui offre son lot de dommages collatéraux, impactant absolument tout le monde.

Comme l’annonçait la précédente saison, le monde de la criminalité – et plus précisément le cartel de la drogue – éclabousse celui de la justice, dans lequel naviguent Jimmy, Kim et Howard Hamlin. La collusion est plus importante que jamais et vient briser le plafond de verre sous lequel s’abritait nos avocats, les éclats s’abattant sur eux avec pertes et fracas. Passé les six premiers épisodes qui, à l’exception de la parenthèse (des)enchantée consacrée à Nacho Varga – parti par la grande porte – levaient petit à petit le voile sur le plan fomenté par le couple phare de la série pour se venger de leur ancien collègue, le drame vient brutalement frapper à leur porte – l’euphorie propre à leur entreprise de déstabilisation laissant place à la douleur alors que la grande faucheuse fait une apparition surprise. Plus dure sera la chute, un adage pris au pied de la lettre par nos scénaristes notamment avec le triptyque Plan And Execution (6×07)/Point and Shoot (6×08) /Fun and Games (6×09) qui permet à Tom Schnauz, Vince Gilligan et Micahel Morris de détruire tout à tour l’équilibre émotionnel de nos protagonistes grâce à une force de frappe plus dévastatrice que celle d’Ozymandias (5×14) – point culminant de Breaking Bad – la mort et la culpabilité faisant s’effondrer les derniers remparts séparant James McGill de Saul Goodman.

Ce qui nous amène à l’épilogue de cette descente vers les abymes, où les fantômes du passé refont surface pour sceller le destin de ces âmes en peine que sont Kim Wexler et Gene Takavic. Servant autrefois à ouvrir chaque saison, la timeline post-BB occupe le devant de la scène, pour tirer un trait – non sans une ironie douce-amère – sur cette sombre épopée à la lisière de la justice. Si l’on pourra regretter un léger changement au niveau du casting, l’acte final de Better Call Saul tient toutes ses promesses, tirant de la situation misérable de notre criminel/fugitif et de l’amour de sa vie la matériel nécessaire pour dresser le triste bilan de ce que leurs actions ont causé. Raccrochant habilement les wagons avec sa grande sœur (avec comme cadeaux de départ des clins d’œil plutôt bien pensés) tout en lui donnant une dimension nouvelle, la série se clôt sur la notion de conséquences, n’oubliant pas qu’il y a un prix à payer après un tel désastre. Bouclant la boucle quant à l’évolution de James McGill, Saul Gone (6×13) est une belle lettre d’adieu de Peter Gould à sa création, mettant un point final tout en sensibilité sur une histoire qui se sera au final étalée sur cent-vingt-cinq épisodes.

Outre le travail d’orfèvre des scénaristes et des réalisateurs, avec une mise en scène aux petits oignons, saluons le casting du show, qui aura une fois de plus tout donné à l’écran, à commencer par Bob Odenkirk, la clé de voûte de ce spin-off, qui nous aura bluffé en livrant une prestation de haut-vol tout en ayant souffert d’une crise cardiaque en plein tournage, ce dernier remettant vite le pied à l’étrier sans que cela n’ait d’influence sur son jeu. Chapeau l’artiste. A ses côtés, si Giancarlo Esposito, Jonathan Banks, Patrick Fabian, Michael Mando et Tony Dalton restent à un niveau d’excellence, Rhea Seehorn continue de voler la vedette à ses comparses dans la peau de Kim Wexler, qui lui aura permis de se montrer déchirante dans cette ultime ligne droite – formant un duo complémentaire avec Odenkirk. De quoi forger la légende du couple maudit Jimmy/Kim. Car oui, Better Call Saul est également une histoire d’amour, des plus réussies.

C’est donc sur une note ô combien satisfaisantes que s’achève la série et dans un spectre plus large, la mythologie Breaking Bad et ce quatorze ans après son lancement sur la chaîne AMC. Un grand merci à Vince Gilligan, le maître d’orchestre de cet univers partagé, Peter Gould, qui a mené avec brio ce préquel, ainsi que toutes les équipes ayant travaillé devant et derrière la caméra sur les deux programmes – qui ont indéniablement marqué le paysage télévisuel de leur empreinte. It’s all good man !

© AMC

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