Eté 1982. Une année ô combien prolifique pour l’industrie du cinéma avec un line-up qui aujourd’hui ferait pâlir les exploitants tant le niveau était élevé. A cette époque, débarquaient dans […]
Eté 1982. Une année ô combien prolifique pour l’industrie du cinéma avec un line-up qui aujourd’hui ferait pâlir les exploitants tant le niveau était élevé. A cette époque, débarquaient dans les salles obscures des titres tels que E.T. L’Extra-terrestre, Rocky III, The Thing, Mad Max 2 : Le Défi, Tron, Star Trek II :La Colère de Khan, Poltergeist ou encore un petit film du nom de Blade Runner. Porté par Harrison Ford, Sean Young et Rutger Hauer, ce thriller futuriste nous entraînait dans un Los Angeles délabré aux côtés de Rick Deckard, un officier de police astreint à une unité spéciale, les blade runners, en charge de l’appréhension et du ‘retrait’ de réplicants – ces androïdes ressemblant comme deux gouttes d’eau aux humains, servant d’esclaves dans un monde ravagé par guerres radioactives.
Un monument de la S-F régulièrement (re)découvert par les aficionados et les néophytes, qui font face à une interrogation. Dans quelle version regarder le film de Ridley Scott ? Une question légitime, la palette de choix étant large, ce qui fait d’ailleurs la spécificité de BladeRunner – qui souffle ce jour ses quarante bougies. L’occasion idéale pour revenir sur cet imbroglio entourant les différents cuts conçus durant ces quatre dernières décennies. Pourquoi ai-je le souvenir d’une voix-off ? La violence n’était-elle pas édulcorée auparavant ? Ai-je rêvé de cette séquence centrée sur une licorne ? Tant de doutes qui seront dissipés après la lecture de ce nouveau volet de La petite histoire derrière…les différents montages de Blade Runner.
Suite à une première incursion des plus réussies dans l’univers de la science-fiction avec Alien, Ridley Scott poursuivit son exploration de ce vaste champ des possibles en s’attelant à la mise en scène de l’adaptation du roman de Philip K. Dick intitulé Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, sous l’impulsion du producteur Alan Ladd Jr., avec qu’il venait de collaborer. Point de départ de la conception de Blade Runner, une œuvre majeure du genre – dans le milieu du septième art – qui aura mis du temps avant de se laisser apprécier à sa juste valeur. En effet, si aujourd’hui le long-métrage est considéré comme incontournable pour la critique et le public, sachez qu’à l’époque de sa sortie, cela n’était pas du tout le cas.
Son parcours semé d’embûches débuta dès la concrétisation du projet, avec une succession de désaccords. Tout d’abord, celui de l’auteur face à la Warner, ce dernier n’ayant pas été au courant de la mise en chantier du film par le studio puis n’appréciant pas la mouture du scénario par Hampton Fancher – avant d’être rassuré par les modifications apportées par David Peoples qui, pour la petite histoire dans le petite histoire, est à l’origine du terme replicant (absent du livre). Par la suite, les multiples remous engendrés par un Ridley Scott déterminé à livrer sa vision des choses contre vents et marées viendront pimenter les quatre mois de tournage de sa troisième réalisation, la première avec une équipe technique américaine. Le perfectionnisme du cinéaste de même que son sens de la direction d’acteur se seront pas du goût de tous, engendrant des tensions avec les producteurs ainsi qu’avec Harrison Ford. Passés ces aléas, qui sont somme toute monnaie courante à Hollywood, l’épopée Blade Runner s’est pourtant poursuivie dans la douleur, une incompréhension quant à la teneur du produit fini ayant amené à cette fameuse multiplication de versions, qui nous intéresse ici.
Avant que la Final Cut, supervisée par Ridley Scott en personne, ne serve de mètre étalon, six différents montages ont marqué l’existence de Blade Runner. Officieusement, il en existerait même une septième, d’une durée proche quatre heures, une information qui fût révélée dans l’excellent documentaire Dangerous Days : The Making of Blade Runner réalisé par Charles de Lauzirika en 2007, lors de la sortie de l’édition ultimate du long-métrage en Blu-ray – réunissant les quatre versions étant disponibles en vidéo. Ainsi, nous allons évoquer les sept cas s’offrant à nous, en précisant les modifications opérées.
Workprint version
Tout ce remue-ménage a commencé dès les projections-test du film, présentée dans sa version de travail (communément appelée workprint) dont les retours ont refroidi les grands pontes de Warner Bros. Ce cut brut ne disposant pas d’effets finalisés ni de l’envoûtante bande originale de Vangelis – d’une durée de cent-treize minutes – fût mal accueilli par les spectateurs témoins, visiblement confus par l’intrigue, considérée comme obscure et pessimiste. Cette ébauche servira pourtant une décennie plus tard de base à une première director’s cut, désavouée par le réalisateur en personne. Nous y reviendrons plus bas.
Ces critiques loin d’être enthousiastes font office d’éléments déclencheurs à retour en salle de montage, afin d’éclaircir les enjeux et apporter davantage d’espoir aux tribulations de Rick Deckard dans les froides ruelles de Los Angeles. Un décision menant à des choix éditoriaux à double-tranchant, atténuant la puissance lyrique de l’œuvre tout en prenant une certaine distance avec la vision originale de Scott. Ce que le public ne sait pas encore en juin 1982, date de la sortie de Blade Runner sur le sol américain…
US Theatrical Cut
Alors que l’été bat son plein, le film se dévoile dans sa nouvelle mouture (de cent-seize minutes), orchestrée par les producteurs sans que le réalisateur n’est réellement la mainmise sur les changements opérés. Et quels changements. Dans un soucis de clarté, le personnage de Deckard fait office de narrateur principal, obligeant ainsi Harrison Ford a enregistré une voix-off à contrecœur, l’acteur étant opposé à cette idée – comme il l’évoqua dans les colonnes du magazine Empire en avril 2006 :
“Ce dont je me souviens par dessus tout quand je regarde Blade Runner, ce n’est ne sont pas les cinquante nuits de tournage sous la pluie mais cette voix-off…J’étais obligé de travailler pour ces clowns qui se ramenaient avec des lignes de dialogues toute plus nulles les unes que les autres.“
Outre cette sur-explication, qui peut vite taper sur le système (Ford a lui-même du mal à croire en ce qu’il raconte ce qui n’aide pas), l’autre modification drastique porte sur la conclusion du métrage, qui ne se termine plus sur une fin ouverte concernant le destin de Deckard et Rachel. Ici, le happy end est de rigueur, avec le couple s’enfuyant en voiture des bas-fonds de L.A. vers une destination plus verdoyante, vers un avenir meilleur à construire à deux. D’ailleurs, pour l’anecdote, les plans aériens de cette séquence finale sont issus de prises de vues non utilisées dans Shining de Stanley Kubrick – qui a donné son accord pour ce tour de passe-passe de la Warner.
Hélas, si ce remontage avait tout d’abord suscité des réactions positives lors d’une avant-première à San Diego, qui contenait trois scènes supplémentaires – qui n’ont pas été conservées (et qui constitue ainsi la San Diego Sneak Preview) – au final les remontées presse et du public ne seront pas à la hauteur de ce qui devait être un événement pour le studio. Proposé le même week-end que The Thing de John Carpenter et deux semaines après le phénomène E.T. : L’Extra-terrestre – qui rafla la mise en 1982 en récoltant 359,1M$ rien que sur le territoire US, Blade Runner a dû se contenter de peu avec un box office ne s’élevant qu’à 27,5M$. Ses résultats seront moins catastrophiques à l’international, notamment en France où il fût découvert par 2 040 168 de spectateurs, dans une version non-censurée.
International Cut
Egalement appelée Criterion Cut, cette version à destination du marché européen, asiatique et australien ne diffère de son homologue américain que par l’expression de la violence propre au récit, ajoutant une petite minute supplémentaire au compteur en explicitant entre autres le face à face entre Deckard et Pris. Outre-Atlantique, le grand public patienta quelques avant de pouvoir la visionner via la VHS (puis le LaserDisc) éditée par Criterion. Avant cela, un autre montage fût confectionné, pour les besoins de la télévision et là aussi, coupes et rajouts furent au programme des réjouissances.
US Broadcast Version
Quatre ans après sa sortie en salles, Blade Runner est diffusé pour la première fois sur le petit écran, sur CBS, l’un des principaux networks américains. Proposé à une heure de grande écoute, le long-métrage est passé à la moulinette par les censeurs, le pays de l’Oncle Sam étant puritain, il faut procéder à une édulcoration pour être vu par le plus grand nombre. Moins de violence, moins de nudité mais aussi des explications sur l’intrigue avec à la clé un teaser clarifiant les zones d’ombres, dont celle entourant la nature de Rick Deckard, la chaîne précisant qu’il n’est pas un réplicant – contrairement à d’autres versions où le flou reste de mise, comme dans la Director’s Cut par exemple.
Director’s Cut
Là aussi, l’histoire est pleine de rebondissements puisqu’il existe…deux moutures de ce cut, dont une ayant été projetée sans l’accord Ridley Scott – un comble. Tout a en fait débuté par une erreur. En furetant dans les archives de la Warner, Michael Arick, restaurateur de films, déterre sans le savoir la version Workprint ayant servi aux projections-tests, donnant l’idée au studio de capitaliser sur cette trouvaille. Cette copie 70mm intéressant quelques cinémas, des projections s’établissent au printemps 1990 sous l’appellation Director’s Cut. Apprenant cette nouvelle, le réalisateur fît publiquement part de sa colère face à l’utilisation de cette ébauche sans qu’il en soit informé, impliquant le développement d’une version avec son implication – organisée sous la supervision d’Arick – a qui a été confiée cette tâche.
Cherchant à se rapprocher au plus près de la volonté initiale de Scott, ce dernier essaye de compiler les idées datant de l’époque de la production, tout en demandant des conseils au cinéaste, alors occupé à mettre en boîte Thelma et Louise. Prenant appui sur ses suggestions, les trois principales étant de se débarrasser de la narration de Deckard, du happy ending et de rajouter une séquence disparu de la version salles, celle du rêve impliquant une licorne – afin de semer le doute quant à l’humanité de notre blade runner, faisant ainsi le lien avec les origamis confectionnés par son collègue Gaff tout au long de l’œuvre. Malgré les efforts entrepris, les contraintes techniques et budgétaires sont venus jouer les troubles fêtes avec un temps imparti trop court pour que le travail effectué soit réellement à la hauteur des attentes.
The Final Cut
Ce qui nous amène à l’ultime montage de Blade Runner, entrepris au début des années 2000, avec une totale liberté créative allouée à Ridley Scott, qui s’est lancée dans cette entreprise aux côtés de Charles de Lauzirika – qui documenta ce travail en tandem. Ainsi, exit voix-off omniprésente, happy ending et bienvenue à la violence, les rushs de l’International Cut faisant ainsi leur apparition. En se servant des négatifs à leur disposition, le réalisateur et le restaurateur ont pu réintégrer des scènes précédemment coupées, améliorer l’étalonnage ou encore peaufiner la séquence dite de la licorne. Avec les moyens de ces ambitions, Scott a pu procéder à quelques ajustements d’ordre visuels et sonores, resynchronisant une ligne de dialogue d’Harrison Ford en se servant de la voix de son fils Ben puis tournant une courte séquence inédite avec l’actrice Joanna Cassidy (qui incarne la réplicante Zhora).
Seul bémol lors de cette énième étape de post-production, le report de la sortie de ce Final Cut – d’une durée de 117 minutes – suite à des problèmes d’ordres judiciaires avec des financiers du film. Planifié pour son vingtième anniversaire, il n’arrivera que cinq ans plus tard, pour ses vingt-cinq ans, en 2007. Ce qui fût l’occasion de sortir une édition Ultimate digne de ce nom (qui depuis est disponible en 4k) pour célébrer le point final d’une aventure proche de l’odyssée. Sur les huit versions existantes, les quatre étant à disposition du public résonneront diffament selon les sensibilités de chacun, amplifiant la force de cette œuvre culte. On ne peut que conseiller de toutes les visionner afin de vous faire votre propre avis.
Pour conclure La petite histoire derrière…les différents montages de Blade Runner, quoi de mieux que se laisser bercer par l’onirique bande son orchestrée par le maestro Vangelis, qui nous a malheureusement quitté il y a peu mais restera à tout jamais dans les mémoires, ses compositions ayant marqué le septième art.