Repéré en 2016 avec le court Nocturne in Black, qui a notamment été récompensé d’un BAFTA, le réalisateur libanais Jimmy Keyrouz s’attaque à son premier long-métrage, faisant la jonction avec sa précédente œuvre. Comprenant au casting Tarek Yaacoub, Rola Baksmati, Mounir Maasri, Sara Abi Kanaan, ou encore Adel Karam, ce drame labelisé Cannes 2020 débarque finalement sur les écrans français, nous permettant de voir le périple de Karim, pianiste de talent, au cœur d’une Syrie en proie à l’obscurantisme…

Avec son premier long-métrage, Jimmy Keyrouz fait le choix de prolonger son obscur tableau d’une Syrie assiégée, esquissé dans l’acclamé Nocturne In Black, donnant ainsi plus d’aspérités à une œuvre dramatique qui, malgré quelques fausses notes, joue une partition solide, faisant résonner un air de résistance porteur de messages humanistes, une ode à la résilience .

Pour évoquer la dure réalité qu’est la vie sous le joug d’un oppresseur tel que l’Etat Islamique, nul besoin d’artifices, l’horreur de leurs actions ayant malheureusement été visible aux yeux de tous ces dernière années. En cela, le cinéaste visait juste lorsque son court-métrage dévoilait ce que cela signifiait de survivre au quotidien dans la dictature imposée par l’organisation terroriste, en s’inspirant de plusieurs vraies pour narrer le parcours d’un jeune syrien, jouant de la musique pour ses voisins, symbole d’espoir et de rébellion. Une trame qui se voit ici densifiée, Le Dernier Piano s’attelant à élargir son champ de vision pour démontrer du calvaire de la population face au spectre de l’extrémisme, la liberté se voyant sacrifiée sur l’autel du rigorisme et de la violence, le groupuscule ne connaissant que la répression et l’endoctrinement pour imposer sa loi. De quoi rendre cette peinture d’un monde en ruines encore plus glaçante.

Et le désespoir et bien présent en filigrane d’un bout à l’autre de la malencontreuse odyssée de Karim, pianiste d’une vingtaine d’années se retrouvant à la croisée des chemins, poussé par les forces du destin à prendre part à une aventure qui le dépasse. Ses rêves de faire carrière en Europe faisant office de mirage au vu de la situation critique dans laquelle lui et ses concitoyens se trouvent, le jeune homme joue de son instrument fétiche – hérité de sa mère – caché dans une cave de son petit village. Une passion synonyme de peine de mort sous la gouvernance de l’Etat Islamique, déterminé à supprimer tout élément pouvant procurer un minimum de plaisir au peuple – contraint par la force de se plier à des us et coutumes issus d’un autre âge. Dans un tel climat austère, où la mort rôde en permanence, à chaque jour suffit sa peine. Ajoutons à cela les descentes de milices et l’atmosphère se tend davantage. Lorsqu’une attaque mène à la destruction du piano de notre protagoniste, ce dernier se lance dans une quête insensée : trouver les pièces nécessaires à sa réparation. Une mission des plus dangereuses, qui sert de moteur à l’intrigue, se partageant entre deux feux.

Les conséquences dévastatrices de la politique destructrice de l’EI nous sont exposées à travers le parcours de Karim mais également dans la trajectoire de personnages connexes, permettant de ratisser large quant à la tragédie ayant touché la Syrie – et de nombreux pays. Un constat sans appel, nous alertant à raison sur ce désastre humain, mais qui perd de sa puissance en tirant bien trop sur la corde sensible, oubliant progressivement la justesse pour la recherche de pathos. Lorsque Jimmy Keyrouz oublie la démonstration et décrit l’horreur sous son simple appareil, sans fard – mais avec la photographie soignée de Joe Saade – on saisit mieux l’urgence de la situation, la toxicité de cette occupation illégale. Malgré cette fausse note, et la bande originale lancinante de Gabriel Yared, Le Dernier Piano n’en reste pas moins un drame qui ne manque pas d’atouts, nous alertant avec force sur l’horreur de l’obscurantisme, qui pervertit les âmes en faisant couler le sang. Son message sur la résistance par l’art est bien évidemment porteur, l’espoir étant à porté de clavier, comme le démontre le périple de son héros, incarné par un Tarek Yaacoub investi, qui passe de l’ombre à la lumière et s’affirme en prenant part à un combat des plus nobles.

Pour son premier long-métrage, Jimmy Keyrouz poursuit son travail de dénonciation d’un système totalitaire et offre une caisse de résonnance à sa démarche avec Le Dernier Piano, drame âpre et anxiogène nous rappelant les atrocités commises en Syrie par l’Etat Islamique. Si elle est desservie par les approximations propre à un scénario préférant partir sur un lyrisme un brin caricatural, cette œuvre parvient toute de même à viser sa cible en nous montrant l’horreur de la guerre.

© Alba Films

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