[Critique réalisée en partenariat avec Cinétrafic dans le cadre de l’opération DVDtrafic. Un grand merci au site ainsi qu’à l’éditeur Diaphana Edition Vidéo pour cette collaboration (à retrouver sur Facebook/Twitter). La fiche Cinetrafic de Drive […]
Deux après ASAKO I&II, Ryūsuke Hamaguchi est revenu derrière la caméra pour mettre en scène Drive My Car, l’adaptation d’une nouvelle de Haruki Murakami – issu du recueil Des hommes sans femmes – comprenant Hidetoshi Nishijima, Toko Miura, Masaki Okada, Reika Kirishima, Yoo-rim Park, Dae-yong Jin ou encore Sonia Yuan au casting. Récompensé du Prix du Scénario lors du 74e Festival de Cannes le long-métrage est désormais disponible depuis ce 1er mars en DVD, Blu-ray et VOD. De quoi pouvoir rattraper ce drame se centrant sur le parcours d’un acteur et metteur en scène de théâtre, prenant part à une résidence d’artiste pour monter une pièce de Tchekhov…
Prenant le chemin de l’introspection, Ryūsuke Hamaguchi signe avec Drive My Car une odyssée intimiste sondant les tréfonds de l’âme humaine à travers les silences et les non-dits, pour une déambulation poétique qui – malgré sa durée – nous cueille avec une facilité déconcertante en alliant richesse textuelle et mise en scène envoûtante.
Trouvant dans l’œuvre de Haruki Marakami un écrin de choix, le cinéaste nous convie à un voyage sentimental tout en finesse et subtilité, prenant le soin de laisser du temps au temps, se laissant apprécier à mesure que se décante les thématiques abordées – le tout pour un exercice de style de près de trois heures qui, étrangement, ne patine pas en cours de route. Des longueurs sont parfois au rendez-vous mais celles-ci ont un but et servent à nourrir un récit où l’absence et la douleur ont une place prépondérante. Œuvrant à l’écriture avec l’aide du scénariste Takamasa Oe, Hamaguchi prend le parti de l’intimité pour traiter d’un sujet délicat, à savoir la perte de l’être aimé, avec une démarche empathique qui fait son effet.
Grâce à une écriture des plus soignées, on se laisse porter par cette lente histoire de reconstruction, passant par le contact aux autres et par la création artistique. Menant une vie à première vue idyllique, entre une relation fusionnelle avec une femme aimante et un métier qui le passionne, Yūsuke Kafuku voit sa petite bulle dans laquelle il évoluait éclater brusquement, bouleversant sans crier gare son quotidien. Alors que son âme sœur lui est injustement arrachée, cette figure du milieu théâtrale tente de rester digne face à cette perte, marquant le début d’un long processus de reconstruction. La difficulté de faire son deuil et le souvenir de ceux qui nous ont quittés deviennent ainsi les deux moteurs alimentant Drive My Car, qui tire profit du processus créatif propre au cadre dans lequel il se déroule pour faire de l’art un exutoire.
Une catharsis qui prend la forme d’une pièce, en l’occurrence Oncle Vanya d’Anton Tchekhov, montée par Kafuku à l’occasion d’une résidence d’artiste. De cette expérience professionnelle, va débuter pour notre homme une virée émotionnelle, l’amenant à mettre des mots sur ses maux au gré de ses rencontres. Que ce soit au contact de ses comédiens, dont un est directement lié à son passé, ou la chauffeuse qui lui est attitré, celui qui paraissait impassible fend progressivement son armure, laissant parler son cœur. Jouant sur l’implicite, Ryūsuke Hamaguchi donne du relief au regard et au silence, qui viennent contraster les boulevards de dialogues – émanant pour la plupart du texte de Tchekhov – apportant une autre teneur à l’expression des sentiments. Un sous-texte soulignant avec finesse des errements intérieurs de nos protagonistes, pour la plupart des âmes en peine.
Ce qui transparaît notamment dans la relation de Yūsuke avec son épouse ainsi qu’avec la jeune Misaki, la femme au volant de sa précieuse voiture, dont les développements sont des atouts majeurs dans la réussite du film – venant appuyer cette nécessité de s’ouvrir à l’autre. La communication, que ce soit dans la parole, les gestes, les regards, est un outil imparable pour lier les gens, pour faire passer des émotions, un point parfaitement retranscrit à la fois dans le scénario et dans la réalisation, donnant un cachet indéniable à cet ouvrage de toute beauté. Ajoutons à cela une direction d’acteur de qualité, donnant lieu à des prestations sensibles de la part de Hidetoshi Nishijima, Toko Miura ou encore Reika Kirishima, des passagers aux côtés desquels nous passons un trajet, certes un peu long, mais au combien enivrant.
Avec Drive My Car, Ryūsuke Hamaguchi nous emmène sur la voie de la reconstruction avec une odyssée intimiste sur le deuil et l’expression des sentiments qui vaut le détour, un voyage réussi grâce à une écriture des plus justes, une mise en scène maitrisée et une distribution de haute volée. Un beau film tout simplement.