Remarqués en 2016 avec leur court-métrage, Mare Nostrum, les réalisateurs Rana Kazkaz et Anas Khalaf s’attellent à leur premier long avec Le Traducteur, qui comprend au casting Ziad Bakri, Yumna Marwan, David Field, Sawsan Arsheed, Miranda Tapsell, Fares Helou, Reem Ali, Rami Farah et se centrant sur Sami, traducteur syrien réfugié en Australie, se voyant rattraper par son passé lorsque la situation s’embrase dans son pays d’origine…

Avec Le Traducteur, Rana Kazkaz et Anas Khalaf reviennent sur l’instabilité politique de leur pays de cœur, la Syrie, par le biais d’un drame pour le moins électrique destiné à mettre en lumière le combat d’un peuple face à l’obscurantisme, à la brutalité. Une première œuvre fiévreuse, qui s’attarde sur le climat anxiogène régnant dans ce régime, habitué à faire régner la loi et l’ordre se servant de la répression pour gouverner, martyrisant ses citoyens.

Cette sombre réalité nous est ici dépeinte sans fards, le couple de réalisateurs s’évertuant à dénoncer les exactions des différents gouvernements – ceux d’Hafez et Bachar Al-Assad – ayant fait couler le sang sous le regard impassible de la scène internationale. Un tragique constat prenant corps à travers le parcours de Sami, syrien exilé en Australie, replongeant en plein chaos alors que le printemps arabe commence à faire bouger les lignes, qu’un semblant d’espoir apparaît. Les dérives d’un État autoritaire transparaissent ainsi dans une intrigue destinée à expliciter le danger que cela représente pour la population, voyant disparaître leur liberté. Donnant le ton dès le départ, avec des séquences d’arrestations arbitraires de manifestants, le long-métrage est une virée en terre brûlée, où la paix n’est qu’illusion, la terreur étant le mot d’ordre d’un pouvoir aux abois. Quelles solutions sont possibles dans une contrée où la mort peut attendre à chaque coin de rue quiconque sortira d’un cadre strictement défini ?

Empli d’amertume, Le Traducteur se concentre sur un protagoniste se devant de revenir dans son pays, pour les siens et ce malgré le sort funeste qu’il pourrait lui être réservé si sa présence venait à se savoir. Réfugié politique suite à un malencontreux lapsus lui coûtant sa place de traducteur au sein de l’équipe olympique syrienne lors des jeux de Sydney, Sami désormais tente de couler des jours heureux en Australie auprès de sa compagne. Son travail aux côtés d’un de ses amis, reporter, va l’amener à découvrir que chez lui, semble souffler un nouveau vent de révolte de la part du peuple. Nous sommes en 2011 et le printemps arabe émerge dans les cris, dans la douleur, la répression allant bon train pour tuer dans l’œuf ce soulèvement. En consultant le peu de vidéos témoignant de ces manifestions, le verrouillage de l’information faisant rage, notre interprète va apprendre avec effroi l’arrestation d’un membre de sa famille, activiste reconnu. Un événement bouleversant lui faisant prendre le risque de retourner en Syrie, pour venir en aide à ses proches.

Alliant récit intimiste et portrait d’une nation en plein confusion, le scénario monte progressivement en pression, la venue de Sami en territoire syrien étant à haut risque pour lui et ceux l’accompagnant. S’engage alors une quête désespérée, où angoisses et regrets viennent se conjuguer à la souffrance, que ce soit celle du cadre familiale ou plus globalement du peuple. Entrecoupé de séquences violentes, venant rappeler à intervalles réguliers de la poudrière que représente une dictature, où l’existence de chaque homme, chaque femme tient perpétuellement à un fil, ce drame n’oublie pas les moments d’introspection, apportant de la teneur au propos développé sur la résilience. Les épreuves traversées par ce personnage central, incarné avec intensité par un Ziad Bakri convaincant – sachant exprimer les doutes de son alter ego à travers un jeu subtil gagnant en profondeur – servent à souligner l’horreur d’un quotidien où l’oppression est la norme. Ce parcours tumultueux se veut un examen de conscience de la part de Rana Kazkaz et Anas Khalaf, bien décidés à ouvrir la vue du public sur les conditions de vie du peuple syrien, démunis face à l’autorité mais trouvant toujours la force de se battre pour leurs convictions.

Avec Le Traducteur, Rana Kazkaz et Anas Khalaf mettent des mots sur les maux d’un pays en proie avec l’obscurantisme, signant une œuvre engagée, pointant du doigt une réalité politique des plus sombres. Drame saupoudré de thriller, ce premier long-métrage se révèle efficace, dépeignant avec un certains sens du réalisme la brutalité d’un quotidien oppressant sur un peuple gouverné par la peur.

© George Films

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