Le 5 octobre 1962, se déroulait au cœur du London Pavilion la première mondiale d’un petit film d’espionnage intitulé James Bond Contre Dr. No, pierre angulaire d’une franchise culte du septième art, composée – à l’instant où ces lignes sont écrites – de vingt-cinq opus, porté tour à tour par Sean Connery, George Lazemby, Roger Moore, Timothy Dalton, Pierce Brosnan et Daniel Craig. Ce jour particulier, qui marqua avec panache l’avènement de 007 au cinéma, est devenue avec le temps une date anniversaire pour les fans de la saga produite par Eon Productions, désormais connue dans le monde entier comme le James Bond Day. L’occasion de célébrer l’agent le plus célèbre des services secrets de sa Majesté.

Quoi de mieux que cet événement, qui de plus coïncide avec la sortie de Mourir Peut Attendre, cinquième et ultime chapitre de l’ère Craig, pour évoquer un épisode plutôt cocasse des aventures de notre espion britannique sur grand écran. Ainsi, pour ce nouveau numéro de La petite histoire derrière…, revenons sur le duel opposant James Bond…à James Bond, qui a eu lieu en 1983 avec la sortie de Jamais Plus Jamais ! Quels sont les raisons de cet affrontement et surtout comment en sommes-nous arrivés à un tel cas de figure ? Des questions auxquelles SeriesDeFilms va tenter d’apporter des réponses.

Opération Tonnerre, nerf de la guerre

Pour cela, intéressons-nous à un homme, Ian Fleming. D’abord journaliste, ce dernier rejoindra le renseignement britannique à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, obtenant comme son futur alter-ego le grade de commander. Après avoir pris part à quelques opérations secrètes, dont GoldenEye, qui constituait à garder un œil sur l’Espagne de Franco (un nom de mission qui sera donné au dix-septième volet de la saga) l’ex-espion se redirige vers une carrière d’écrivain. Puisant dans ses expériences professionnelles pour nourrir son oeuvre, Fleming donne naissance à James Bond, qui fait ses premiers pas dans Casino Royale, paru en 1953. Accueilli avec enthousiasme par le public, ce premier roman est le point de départ de la success-story que l’on connaît tous désormais. Rapidement courtisé par les producteurs, l’auteur voit tout d’abord son travail porté à la télévision, Casino Royale faisant l’objet d’un épisode de l’anthologie Climax ! diffusée sur CBS de 1954 à 1958 avant que les grand pontes du cinéma ne mettent le grappin sur l’univers bondien.

Alors que nous sommes à l’aube des sixties, le prolifique Ian Fleming est sur tous les fronts, écrivant un livre par an, tout en essayant de développer un long-métrage annexe, Thunderball – que nous connaîtrons en France sous le titre Opération Tonnerre. Un projet qui va donner lieu à un imbroglio juridique et nous amener à un cas de figure pour le moins atypique. Planchant sur un scénario inédit avec l’aide de Kevin McClory, Ivar Bryce et Ernest Cuneo, le romancier va longtemps resté insatisfait de l’intrigue imaginée, avant de prendre du recul le temps de vagabonder aux quatre coins du globe afin de préparer un carnet de voyage (Thrilling Cities). Durant cette période, le scénariste et réalisateur Kevin McClory élabore aux côtés de Jack Whittingham une nouvelle mouture du script, nommé Longitude 78 West, qui trouva grâce aux yeux de l’auteur. Si le film ne se concrétise pas dans l’absolu, celui-ci se lance dans une novélisation du scénario, qui devint le neuvième opus de sa saga littéraire. Seul hic, aucune mention des têtes pensantes de cette histoire où James Bond doit retrouver deux bombes atomiques dérobées par Blofeld et son infâme organisation, S.P.E.C.T.R.E.

Si, malgré un procès, il n’a rien pu faire pour empêcher la publication de Thunderball, Kevin McClory va s’engager dans une bataille judiciaire pour que sa paternité soit reconnue et ainsi faire valoir ses droits sur le roman ainsi que sur le script auquel il a collaboré. Présentée à la cour, cette affaire McClory v Fleming s’est soldée en 1963 par un arrangement permettant à l’auteur de conserver ses droits sur son livre – en stipulant que celui-ci est basé sur un traitement co-écrit avec Kevin McClory et Jack Whittingham. De son côté le cinéaste voit son travail reconnu, pouvant récupérer son scénario et l’adapter comme bon lui semble à l’écran. Ce qu’il ne pourra pas faire avant vingt ans. Car la popularité grandissante de Bond en librairie a donné des idées à un certain Harry Saltzman, qui négocie un contrat avec Ian Fleming pour obtenir les droits de sa création phare, que ce soit les œuvres déjà publiées et les prochaines, à l’exception de Casino Royale – acheté des années auparavant par le producteur Gregory Ratoff, qui finira par en faire une parodie en 1967, réunissant au casting Peter Sellers, Ursula Andress (inoubliable Honey Rider dans James Bond contre le Dr. No), David Niven ou encore Jean-Paul Belmondo.

Pour concrétiser son entreprise, Saltzman s’associe à Albert R. Broccoli et ensemble les deux hommes fondent à la fois Danjaq, LLC ainsi que Eon Productions pour superviser le catalogue James Bond. Ne pouvant s’inspirer de Casino Royale pour les premiers pas de notre agent double-zéro, des discussions se sont tenues pour faire d’Opération Tonnerre le film originel de la franchise, ce qui ne se fera pas à cause du procès – dont les délibérations n’avaient pas encore été rendues. Le choix se portera finalement sur Dr. No et des éléments de Thunderball seront incorporés dans son scénario, avec l’introduction de S.P.E.C.T.R.E. en premier lieu. La suite, nous la connaissons. Tourné pour un budget de 1M$ (une somme dépassée de 100 000$) et mettant en lumière un Sean Connery jusqu’ici peu connu, le long-métrage de Terence Young débarque à l’automne 1962 sans que United Artists n’y croit réellement. Pourtant, grâce à un solide bouche à oreille, cette adaptation gagne progressivement en popularité, finissant par engranger 59,5M$ sur la surface du globe et attirer 4 772 574 spectateurs dans les salles françaises. Ainsi débute la légende de 007 sur grand écran.

Devenu un véritable phénomène au fur et à mesure de ses missions cinématographiques, Bond devient une une valeur sûre pour la UA/Eon Productions. Après Bons Baisers De Russie et Goldfinger, qui furent synonymes de succès planétaires, Albert R. Broccoli et Harry Saltzman remettent Thunderball sur la table et coopèrent avec Kevin McClory pour mener à bien ce quatrième volet, lui conférant un poste de producteur. S’il apparaît l’instant d’un cameo dans le film de Terence Young et que son nom figure au générique aux côtés de Ian Fleming et Jack Whittingham – venant réitérer la paternité de l’histoire – celui-ci n’a pas participé aux sessions de réécriture du script, confié au tandem Richard Maibaum/John Hopkins. S’il a envie de porter sa version du scénario, McClory devra encore prendre son mal en patience, ayant convenu d’un arrangement avec Eon stipulant qu’il devra attendre dix ans avant de se lancer dans ce projet.

Deux James pour le prix d’un

Durant cette décennie, la saga James Bond est en proie à de profonds changements, Sean Connery laissant sa place à George Lazemby, qui prendra ses fonctions dans Au Service De Sa Majesté avant de laisser son costume et son Walter PPK au vestiaire. Un départ qui va amener au retour de Connery dans son rôle fétiche, United Artists sortant son chéquier pour lui faire changer d’avis, lui octroyant 1,2M$ ainsi que le financement de deux films pour qu’il accepte de reprendre du service, ce qui permettra au comédien de monter The Offence, réalisé par Sidney Lumet, le second projet – une relecture de Macbeth comprenant un casting exclusivement irlandais – ne se concrétisant pas. Jurant de ne plus jamais incarner 007 après Les Diamants Sont Eternels, notre star laisse une fois de plus son siège vacant, amenant à un changement de tonalité lors de l’arrivée du flegmatique Roger Moore, la légèreté étant de mise à partir de Vivre Et Laisser Mourir. C’est d’ailleurs durant l’ère Moore que Kevin McClory entreprend de finaliser son projet de longue date.

Ainsi, au milieu des années 70, le cinéaste remet la machine en marche et s’attèle à une mise au goût du jour de son script en compagnie du scénariste Len Deighton et de Sean Connery, venu en tant que consultant. Si leur volonté était de se différencier plutôt drastiquement de l’œuvre, pour éviter que le doublon avec Opération Tonnerre se révèle inutile, l’équipe créative préfère conserver dans ses grandes lignes l’intrigue du roman et du film de Terence Young. De quoi permettre de refaire surgir de l’ombre S.P.E.C.T.R.E. et son leader, l’organisation et le nemesis de notre héros ne pouvant plus figurer dans les productions Eon suite à une injonction de McClory, ce qui perturba la production de L’Espion Qui M’Aimait – qui s’articulait à l’origine autour de Blofeld. De quoi ajouter des frictions entre les différents partis, qui vont s’intensifier lorsque le long-métrage devint réalité, grâce à Jack Schwartzman. Le producteur va en effet parvenir à faire changer d’avis Sean Connery, en lui promettant un salaire de 3M$, un pourcentage sur les recettes ainsi qu’un droit de regard sur le scénario et le casting. Celui qui jurait de ne jamais revenir est donc bel et bien de la partie, douze ans après Les Diamants Sont Eternels. D’ailleurs, pour l’anecdote, le titre de cette relecture de Thunderball, se nommant Never Say Never AgainJamais Plus Jamais en France – est un clin d’oeil à cette seconde reprise de service. Une idée que l’on doit à Micheline Connery, la femme de l’acteur, qui a suggéré à son mari de prendre part à cette version, comme ce dernier implique dans une interview donnée au Daily Sentinel :

« Micheline m’a encouragé à réfléchir posément [à cette proposition] : Pourquoi ne pas accepter le rôle ? Qu’est-ce que tu risques ? Après toutes ces années, cela pourrait être intéressant. […] Plus j’y pensais, plus je me disais qu’elle avait raison. Il y avait une bonne dose de curiosité de ma part, m’étant éloigner de cet univers depuis si longtemps. »

Distribué par Warner Bros., Jamais Plus Jamais débarque le 7 Octobre 1983 dans les salles américaines, après un sacré parcours du combattant, puisqu’après toute cette attente Kevin McClory a dû faire face aux multiples tentatives de Eon Productions pour empêcher la sortie du long-métrage. En cause, la confrontation avec Octopussy, programmé pour la même année. Alors que nous aurions dû assister à un duel de Bond, les deux films étant prévus à la même date pendant un moment, MGM (qui venait d’absorber United Artists) a dégainé son arme la première, le treizième 007 arrivant le 6 Juin. Devant composer sans la fameuse ‘barrel sequence’, ni le thème phare de Monty Norman arrangé par John Barry et devant opérer à quelques modifications techniques, principalement des changements de noms (Emilio Largo devient Maximilian Largo, Domino Derval se transforme en Domino Petachi, la base de Largo se voit délocalisée des Bahamas à l’Afrique du Nord,…), le réalisateur Irvin Kershner, remarqué en 1980 pour L’Empire Contre-Attaque, livre un opus ‘non officiel’ qui tient la route – même si Opération Tonnerre lui reste supérieur. Pour ceux qui aimeraient jouer aux jeux des sept différences, sachez qu’une comparaison existe, mise en scène par le vidéaste Matt Skuta (à découvrir ici).

Très attendu, ce face à face entre Sean Connery et Roger Moore s’est finalement révélé plus équilibré que prévu, chaque James s’en sortant avec les honneurs. Si Octopussy s’est imposée financièrement parlant, amassant 187,5M$ dans le monde (2 944 481 entrées en France), Jamais Plus Jamais n’a pas démérité puisque ses recettes se sont élevées à 160,1M$ – et son box office français a atteint les 2 570 800 spectateurs. De quoi prouver que deux Bond peuvent co-exister, ce que voulait Kevin McClory, décidant de prolonger l’aventure avec le développement de futurs films consacrés à 007, annonçant même publiquement la nouvelle avec le teasing d’une suite à Jamais Plus Jamais intitulée S.P.E.C.T.R.E., comme le révèle cette page de publicité provenant du magazine Screen Daily.

© Screen Daily

Sauf que le refus de Sean Connery de dire jamais deux sans trois a mis un terme à cette envie d’extension, la décision de l’acteur couplé à la fin du contrat permettant d’assurer la mise en développement d’un nouveau long-métrage venant contre-carrer les plans de McClory. Ce dernier ne baissa pourtant pas les bras, tentant même de concevoir d’autres projets tournant autour de James Bond mais ses espoirs furent à chaque fois douchés par les entraves d’Eon et de la MGM. Si nous n’avons jamais pu découvrir cette seconde franchise basée sur les romans de Ian Fleming, l’empreinte de Kevin McClory plane toujours au-dessus de notre espion au permis de tuer puisque après son décès en Novembre 2006, ses héritiers ont accepté l’offre de Danjaq, LLC, revendant les droits détenus par le scénariste, amenant à la résurgence de S.P.E.C.T.R.E. et d’Ernst Blofeld dans la vie du 007, venant jouer les éléments perturbateurs durant la période Daniel Craig.

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