Le fantastique s’invite dans le paysage cinématographique français avec La Dernière Vie De Simon, le premier long-métrage de Léo Karmann, que ce dernier a co-écrit avec la scénariste Sabrina B. Karine, comprenant au casting Benjamin Voisin, Martin Karmann, Camille Claris, Nicolas Wanczycki, Julie-Anne Roth et nous contant l’histoire d’un orphelin possédant un secret hors du commun (critique à lire ici).

À l’occasion de la sortie de La Dernière Vie De Simon au cinéma, SeriesDeFilms a pu s’entretenir avec Sabrina B. Karine et Léo Karmann, que l’on remercie pour leur disponibilité et leur gentillesse. Ensemble, nous sommes revenus sur le développement de ce premier long-métrage, qui aura mis près de dix ans pour voir le jour.

Le genre fantastique est encore assez discret dans la paysage cinématographique français, cela a dû être un véritable parcours du combattant pour porter un projet tel que La Dernière Vie De Simon ? J’ai entendu dire que cela faisait près d’une décennie que vous vous battiez pour que le long-métrage voit le jour.

Sabrina B. Karine : Ça a été TRÈS compliqué de trouver les bons partenaires… La plupart des producteurs que nous avons rencontrés avaient peur, ne savaient pas comment le monter, conscient de la «réalité du marché» puis on a rencontré Grégoire Debailly qui a eu plus envie que peur. Je pensais que c’était bon, que ça voulait dire qu’on allait faire le film et fait non. On est juste passé de «on galère à deux» à «on galère à trois». Grégoire a bossé comme un fou et à du se battre même une fois le film terminé.

Jour2Fête n’est pas notre premier distributeur, ils sont arrivés sur le film terminé.
Pendant la recherche de financements, tous les distributeurs nous disaient non «on fait pas ça en France», «on a pas de public pour ça»… Alors que le nombre de distributeurs diminuait et qu’on voyait arriver gros comme une maison le fait de ne pas réussir à financer le film, Grégoire a décidé qu’on allait enlever toutes les références visuelles de direction artistiques. Et là c’est passé. Un distributeur a dit oui, en projetant sûrement quelque chose de plus réaliste… Le film s’est fait, le distributeur a vu le film et n’a pas du tout aimé. Il l’a rendu. C’est là qu’on est reparti en quête de distributeur…

Je ne pensais pas que ce serait aussi dur. Ils nous ont tous dit non. «On adore mais on sait pas comment le vendre.» ça nous a énervé avec Léo. On était face à des personnes qui ne voulaient pas prendre de risque, qui préféraient prendre un film qu’ils aimaient moins mais qui remplissaient les cases (une star, un réal connu…). En fait dans notre cinéma, les distributeurs / exploitants / vendeurs demandent aux artistes de s’adapter et de conformer pour rentrer dans des cases toutes faites et facile à vendre. Mais c’est aseptiser toute forme d’art et d’originalité. On devrait faire l’inverse, demander aux artistes d’être originaux, inventifs et ensuite, à ceux qui sont en charge de vendre le film de trouver les ressorts pour faire venir les gens. On aurait un cinéma tellement plus riche dans ce cas de figure !

Au niveau de l’écriture, comment votre binôme a-t-il fonctionné ? Avec cette longue période de gestation, le travail de réécriture a-t-il changer votre vision globale de l’intrigue voulue ?

Sabrina B. Karine : Les 7/8 années d’écriture n’ont pas été du plein temps. Léo bossait sur des plateaux, moi sur d’autres projets….On passe beaucoup de temps à discuter. Puis quand on a suffisamment de matière on part écrire, soit Léo soit moi, suivant qui a le temps ou l’énergie. Puis on rebondit sur le texte, on ré-écrit, encore et encore, pendant des années. Fort des retours qu’on nous fait, des expériences qu’on vit, des films qu’on voit…tout est matière a inspiration, à réflexion, sur ce qu’on veut faire ne pas faire.

Que ce soit dans le scénario ou la réalisation, La Dernière Vie De Simon transpire l’amour pour le cinéma des années 80 et plus particulièrement des productions Amblin, qui semble nous avoir chacun bercé durant notre enfance si l’on s’en fie à votre film. Rendre hommage à cette époque charnière était-elle présente dans votre vision dès le départ ou cela s’est imposé naturellement durant le processus de développement ?

Sabrina B. Karine : On a toujours su qu’on voulait faire ce genre de film. Moi je veux être scénariste depuis que j’ai 10 ans et j’avais déjà intégrer qu’après le BAC fallait que je quitte mon pays. Ce que j’ai fait. Je suis partie à Vancouver pendant 3, puis Los Angeles…
Je crois qu’on toujours été imprégnée de cette culture des films américains, c’est nos influences, nos références et on en est super fiers. Ça ne veut en rien dire qu’on veut faire tout comme eux. Ça ne servirait à rien puisqu’ils le font déjà !!

J’ai adoré E.T. et plein de films de Spielberg, j’adore aussi le cinéma d’animation (Surtout Pixar) car il est pour les enfants tout en se voulant être accessible aux adultes. C’est le cinéma que je rêve de faire, des films accessibles au plus grand nombre.
Les films de Spielberg sont cependant très «asexués», il ne raconte jamais des histoires d’amour, or tous nos films avec Léo sont des histoires d’amour (même les projets futurs) et c’est peut-être en ça que nos références sont aussi chez Cameron.
Spielberg pour le côté enfant intérieur, merveilleux. Cameron pour les histoires d’amour romanesques assumées.

Au final je pense qu’il a été important pour nous de faire un film qui nous ressemble, en tant que Sabrina et Léo, en tant que personnes, en assumant complètement nos influences et le cinéma qui nous faisait rêver. Au final, Simon c’est nous, on s’y retrouve tous les deux et tout le défi de l’écriture a été de se rapprocher de l’intimité du personnage, de son parcours émotionnel sans le parasiter de codes de genres qui n’étaient pas dans notre culture.

Ce qui marque avant tout dans le long-métrage est son côté inter-générationnel, l’émotion primant sur l’aspect fantastique à travers l’intrigue tournant autour de Simon, mêlant quête identitaire et amoureuse. Privilégier un cadre réaliste pour cette histoire emprunte de merveilleux, aide à l’identification du public pour vos personnages. Comment avez-vous travaillé de concert pour que ce côté humaniste transparaisse à l’écran ?

Sabrina B. Karine : C’est le cœur de notre travail. On prend les personnages et on les dissèque dans leur psychologie, leurs émotions, tout ce qui compte c’est le voyage émotionnel du personnage, son évolution. L’intrigue, les événements, le concept, au final, tout ça est au service des personnages et de leur évolution émotionnelle. C’est ça qui fait que c’est réaliste, qu’on peut se permettre des changements de ton, parce que la cohérence émotionnelle des personnages est là.
Et quand on va au cœur de la psychologie d’un personnage, qu’on creuse au plus profond, souvent la problématique est très simple et très universelle. Au final tout le monde se ressemble un peu, même si on en a pas conscience.

De quelle manière avez-vous appréhendé avec vos acteurs, en particulier avec Martin Karmann et Benjamin Voisin, l’ambiguïté de leurs rôles, chacun devant se mettre tour à tour dans la peau de l’autre et ainsi partager des traits de caractère.

Léo Karmann : C’était un véritable travail de composition. Avec Martin et Benjamin, les deux interprètes principaux du personnage, on a travaillé la manière qu’a Simon de se présenter au monde, sa manière de regarder, de marcher, de parler. Et quand nous avons été content de la feuille de route, je l’ai transmise à tous les comédiens (13 en tout) qui ont eu à l’interpréter même quelques minutes à l’écran !

Concernant la réalisation, saluons votre mise en scène soignée et intimiste, apportant une dimension supplémentaire à l’aura de votre long-métrage. Que ce soit les jeux de regards, les jeux de miroirs, vous soulignez le concept de la transformation physique de manière subtile, ce qui est également visible au niveau des effets-speciaux, le travail de morphing s’opèrant de manière organique, sans un nombre incalculable d’artifices à l’image de votre scène d’introduction, simple et donnant le ton du film. Insuffler une telle atmosphère à dû apporter son lot de difficulté sur le tournage non ? Avez-vous du faire des concessions au niveau de la réalisation par rapport à votre budget, qui a dû être serré pour un premier film ?

Léo Karmann : Merci pour vos mots sur la réalisation !
On a jamais assez d’argent pour faire un film, comme on a jamais exactement ce qu’on avait prévu dans sa tête au moment de tourner une scène. Mais c’est tout le principe de ce métier : rendre réel ce qui a été fantasme jusque là. Et je préfère me dire que le réel est toujours plus riche : plutôt que d’être frustré de ce qu’on n’a pas, regardons les choses d’un autre angle et considérons que ce que l’on a est forcément plus intéressant. Il suffit de trouver comment. Donc oui bien sûr, il y a plein d’idées qui n’ont pas vues le jour. Mais il y en a encore plus qui sont nées !

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Benjamin Voisin et Camille Claris dans La Dernière Vie De Simon ©Ciné Sud

Propos recueillis par Romain Derveaux

 

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