Passé cinq saisons en binôme avec Eric Rochant sur Le Bureau des Légendes, Camille de Castelnau vole de ses propres ailes avec Tout va bien, création originale Disney + comprenant un casting […]
Passé cinq saisons en binôme avec Eric Rochant sur Le Bureau des Légendes, Camille de Castelnau vole de ses propres ailes avec Tout va bien, création originale Disney + comprenant un casting cinq étoiles, Virginie Efira, Sara Giraudeau, Nicole Garcia, Aliocha Schneider, Bernard Le Coq, Yannik Landrein, Eduardo Noriega, Mehdi Nebbou ou encore Angèle Romeo étant de la partie. Au cœur de cette dramédie en huit épisodes de cinquante-deux minutes, produite entre autres par Rochant d’ailleurs (qui réalise les deux premiers épisodes), le quotidien d’une famille s’assombrissant alors que le spectre de la maladie apparaît en son sein, fragilisant l’équilibre de chaque membre. Une épreuve qui leur fera voir la vie sous un angle différent et modifiera les rapports des uns et des autres.
À l’occasion de la mise en ligne de la série sur la plateforme, revenons sur notre entretien avec sa créatrice Camille de Castelnau, réalisé lors de sa présentation au cours Séries Mania Forum – événement professionnel s’étant tenu au printemps – aux côtés de nos camarades journalistes Julien Lada de Cinématraque et Agathe Renac de L’Eclaireur Fnac.
Cinématraque : Comment s’est passée la rencontre avec Disney +? Avez-vous imaginé votre projet directement pour la plateforme ou avez-vous pensé à passer par des acteurs plus traditionnels ?
À l’origine je n’ai pas du tout imaginé le projet pour Disney+. Pour moi, Disney vraiment c’était Marvel, Star Wars et La Reine des Neiges quoi ! Mais je sentais que c’était plus un projet de plateforme, un projet atypique. Quand on pense aux séries familiales en France, on fait vite le tour et on retombe vite sur Fais pas ci, fais pas ça, qui est d’ailleurs plutôt une chouette série. Mais je ne voulais pas du tout quelque chose du même registre. D’ailleurs je pensais vraiment que ça ne se ferait jamais. C’est Pascal Breton, le coproducteur de la série, et Eric Rochant qui m’ont dit il y a deux ans et quelques mois que le meilleur endroit pour les créateurs, là où j’aurais le plus de liberté, c’est Disney. J’étais très surprise car pour mon projet ne sonnait pas du tout Disney. Je leur ai fait confiance car ils connaissaient nettement mieux le marché que moi. Et du coup voilà, ça s’est fait, de manière tout sauf romantique. (rires)
L’Eclaireur Fnac :Aujourd’hui de plus en plus de séries se retrouvent annulées au bout d’une saison, comme Drôle, sur laquelle vous aviez travaillé. Ces changements modifient-ils votre manière d’écrire, pensez-vous les séries différemment, en vous disant ‘tiens si je mettais un cliffhanger en toute fin’, ou ‘si je réunissais toutes mes intrigues sur une seule et unique saison’… ?
Je pense qu’il n’y a pas de recette, mettre des cliffhangers à la fin ce n’est pas cela qui fait que ça va marcher. Après j’ai un petit soupçon, je pense que les gens, après un succès ou un échec, sont toujours très très forts pour disserter sur les raisons précises du succès et de l’échec, mais en terme de prévisibilité, on est nuls. Mais heureusement, car il y a toujours une part de surprise en vrai. Je ne pense pas que les producteurs et Netflix se soient dit en lançant Squid Game “C’est sûr, ce truc va faire un carton”. L’écriture est un exercice vachement bizarre car il faut à la fois écrire en pensant au spectateur tout en conservant une démarche très égoïste. Quand j’écris, j’essaie d’abord de ne pas m’ennuyer moi-même, de m’amuser et de me surprendre. J’essaye aussi de mettre un peu de côté des considérations telles que la réception, le succès…ce qui invoque le narcissisme, l’ego, tout ce qui n’est pas forcément le plus fécond pour la créativité. Après je pense qu’il y a des enseignements à en tirer. Une fois qu’une première saison finalisée, qu’elle ait fonctionné ou non, se poser la question du pourquoi est des plus intéressants.
SeriesDeFilms :Passées cinq saisons à naviguer dans le monde de l’espionnage aux côtés d’Eric Rochant pour Le Bureau des Légendes, vous voici aux manettes de votre propre série. Évoluer de scénariste à showrunneuse vous paraissait-il un chemin naturel pour vous ou était-ce le fruit d’une occasion particulière ?
Ça a été un chemin à la fois naturel et à la fois pas du tout naturel. Naturel parce que la série a été produite par Eric Rochant, qui a presque théorisé en France le statut de showrunner. Il y avait donc une cohérence que la première série qu’il produise soit une série dont l’autrice soit showrunneuse, même si la série est très différente du Bureau des Légendes. Donc c’était en quelque sorte logique. Et en même temps, par rapport à ma personnalité, ça ne m’apparaissait pas forcément si naturel, parce que moi j’adore être numéro deux, notamment sur Le Bureau des Légendes, où les avantages vont sans les inconvénients. Je trouvais – et je trouve toujours – que showrunner, c’est quand même beaucoup de métiers en même temps. On doit faire de la RH, du management, même du marketing, il faut aussi avoir des notions de montage, cela s’apparente à un rôle de chef d’orchestre polyvalent. Sachant que je suis persuadée que personne ne sait bien tout faire, cela relève de l’impossible. Être un bon showrunner, c’est un peu l’art de bien s’entourer, et ça je me suis rendue compte que je savais le faire. Que ce soit le binôme avec le producteur, ou même avec les réalisateurs et tous les chefs de poste, que j’ai choisi personnellement – et j’ai vachement bien choisi (rires). Tout s’est bien passé, le tournage a été harmonieux et si je fais une deuxième saison, je repars avec eux.
Cinématraque : La conférence de ce matin a posé un éclairage particulier sur la nécessité de concilier un ton à la française, y compris lorsque l’on est dans la branche française d’un service de streaming propulsé par une major. Cela se conçoit sur la partie industrielle du showrunner, mais sur la partie artistique, est-ce que cela intervient de manière consciente ?
Quand j’écris, j’ai vraiment cette croyance, je ne sais pas si c’est vrai ou pas, que plus c’est singulier, subjectif, sincère, plus ça a une petite chance de rencontrer le grand nombre. Et du coup, je ne me suis pas du tout dit, il faut que ce soit français. De toute façon quoi que je fasse, même si j’ai des influences anglo-saxonnes et même américaines, il y aura quelque chose de français dans le résultat. D’ailleurs, rien que de parler de French Touch, c’est être influencé par les Etats-Unis. Je ne me suis pas dit qu’il y avait un oxymore, du genre “c’est Disney, mais c’est français” car quand j’écris je suis ultra autocentrée, j’essaye d’écrire pour moi-même en me mettant dans le fauteuil de la spectatrice.
L’Eclaireur Fnac :On voit de plus en plus d’acteurs issus du septième art venir sur le petit écran. Vous avez Nicole Garcia ou encore Virginie Efira. Pourquoi tant de grands noms du cinéma prennent part à des séries, qui avant n’étaient pas réellement considérées ? Est-ce devenu un challenge de la part des plateformes et des showrunners de réunir un casting cinq étoiles ?
Pour répondre à votre seconde question, oui je pense que c’est important pour les plateformes car il y a une telle masse de séries – c’est dingue – qu’un casting c’est comme un coup de projecteur. Je sais qu’il y a des endroits où la distribution se joue à peu de choses, sur le nombre d’abonnés Intagram par exemple et pas du tout sur la qualité de jeu. À titre personnel, j’aime bien les stars, ça me fascine un peu. C’est vrai que Virginie Efira, Nicole Garcia, cela fait dix ans que je suis leur parcours, ce sont de très grandes actrices. Nicole c’est aussi une femme de lettres, une réalisatrice. Moi cela m’amuse, mais je pense qu’il y a des créateurs, des scénaristes pour qui cela ressemble un peu à une compromission.
Concernant la première question, je pense que c’est parce qu’elles vont là – imaginez que je n’ai pas écrit cette série – où les textes leur semblent bons. (rires) Quelqu’un comme Virginie a énormément de propositions donc elle peut choisir. Elles sentent le vent du changement, la série étant devenue un genre noble les stars de ciné n’attendent plus d’être trop vieilles pour s’aventurer sur le petit écran. Car ça a longtemps été ça. Le Bureau des Légendes y a contribué d’ailleurs, avec la venue de Kassovitz. Dans le cas de Virginie, son agent a été très favorable à ce qu’elle fasse Tout va bien. Cela m’échappe mais je pense que cela fait partie des plans de carrière désormais.
SeriesDeFilms :Avec Tout va bien, vous vous embarquez dans le registre de la comédie dramatique, en vous articulant sur le quotidien d’une famille faisant face au spectre de la maladie. Quel a été le point de départ de votre réflexion quant au développement de ce sujet ?
C’est complètement une fiction mais le point de départ provient d’une expérience que j’ai faite personnellement, donc que je connais bien. Je me souviens que Eric Rochant avait donné une masterclass d’une heure et demie à ce sujet sur France Culture il y a quelques années. Il y disait que pour créer une série, il faut juste être la personne la plus légitime pour parler d’un sujet. C’est tout. J’avais envie de parler de ce sujet qui me travaillait beaucoup et pour le faire il faut l’avoir un peu traversé – et être scénariste, ce qui est assez rare (rires). Je pense qu’on est pas douze à pouvoir le faire. Et puis c’était le seul sujet pour lequel j’avais l’impression que ça valait la peine d’y passer tout ce temps, cette énergie, cette fatigue. Pourquoi le malheur ? Pourquoi nous ? Quel sens derrière tout ça ? Comment continuer à essayer d’être heureux quand il se passe ce genre de drame ? Cela touche les parents mais également les grands-parents, les oncles et tantes. Ce n’est pas à eux que cela arrive et en même temps ça se passe juste à côté. Ce sont des questions philosophiques. Cette situation permet de voir comment chacun fait comme il peut. C’est intéressant et beau de voir les gens se démener, à essayer de faire les choses même avec maladresse. Chaque personnage représente une réaction possible face à cette énigme, cette douleur. Il y a celui qui fuit mais qui est rattrapé, celui qui est dans le déni, celui qui prend le truc à bras le corps, qui en fait trop…
Cinématraque : Comme remarqué avec la série Oussekine (présentée en 2022 à Séries Mania), il faut parfois attendre des acteurs comme Disney + pour évoquer comme il se doit certains types de sujet. Vous ce n’est pas le sujet mais le traitement qui se démarque, en évoquant la maladie à travers l’angle de la dramédie. Quel peut être selon vous le rôle des plateformes, de ces nouvelles méthodes de distribution, dans cette capacité d’explorer des angles morts de la fiction ?
Je pense qu’avant nous les auteurs, les producteurs, on avait en gros quatre guichets possibles. TF1, France Télé, Canal et Arte. C’est très peu, surtout avec des lignes éditoriales qui changent toutes les cinq minutes. Vous aviez un projet, vous arriviez, si les quatre portes se fermaient devant vous, c’était fini. Alors que maintenant, il n’y a plus quatre guichets, il y en a peut-être dix. Peut-être que ça ne va pas durer, peut-être que c’est une bulle, tout ça, on verra. Du coup, j’ai l’impression que cela peut faire moins ‘niche’. C’est-à-dire qu’on se dit moins “ça c’est pour France Télé, ça c’est pour Arte, ça c’est pour Canal”… Moi, jamais je ne me suis dit “ça c’est pour Disney+”. C’est aussi parce que c’était le nouvel acteur qui arrivait, parce que c’est peut-être moins vrai maintenant. La multiplication des acteurs, en tout cas en premier temps, est vertueuse pour la création avec des projets qui voient le jour alors que cela n’aurait pas été le cas il y a quelques années.
L’Eclaireur Fnac :Clémence Madeleine-Perdrillat parlait (Irrésistible, autre production française Disney +) du syndrome de l’imposteur, le ressentez-vous aussi avec ce nouveau poste ? Le milieu change mais il y a quand même encore beaucoup d’hommes à ces postes là. Avez-vous été confronté à certains obstacles avant d’arriver à ce statut en tant que femme ?
Pas tellement. Mais j’ai été dans un cadre très particulier avec Eric Rochant. Sur Le Bureau des Légendes il m’a mis en avant, il voulait notamment que je reprenne la quatrième saison toute seule. Au contraire on m’a toujours poussé dans le dos. Je suis très copine avec Fanny Herrero, Marine Franquou, Cécile Ducrocq, Anne Landois…j’ai l’impression qu’il y a là une vague de filles. Quand au complexe de l’imposteur, je l’ai beaucoup dans l’écriture, je me dis « fais ton truc, ça se fera jamais. Fais le pour toi, amuse toi, prend ce qu’il y a à prendre… ». Après, une fois qu’il y a les textes et que j’en suis contente, là pour la partie showrunner étonnement j’ai moins ce syndrome. Ce sont mes textes, ils sont bons, ça va aller. Et j’ai pu me rassurer aussi parce que j’étais très bien entourée.