Quatre ans après avoir officié au scénario d’Amours Solitaires, Joris Goulenok poursuit son bonhomme de chemin sur Arte en étant aux manettes de sa propre série courte, Canis Familiaris, désormais disponible […]
Quatre ans après avoir officié au scénario d’Amours Solitaires, Joris Goulenok poursuit son bonhomme de chemin sur Arte en étant aux manettes de sa propre série courte, Canis Familiaris, désormais disponible sur arte.tv ou sur Youtube. Une fable animalière qui derrière une apparente frivolité, cache son véritable enjeu qui est de croquer les travers de notre société, pointant de la patte les comportements problématiques pouvant semer les croquettes de la discorde. Profitant de sa présentation durant le festival Séries Mania, SeriesDeFilms a pu s’entretenir avec le scénariste/réalisateur et lui poser quelques questions quant à la création de ce projet. Un grand merci à lui !
Canis Familiaris a la particularité d’avoir pour principaux protagonistes des chiens. Ou du moins des acteurs déguisés en chien. Scénaristiquement parlant, pas trop difficile d’entrer dans la tête de canidés et de donner vie à leur psyché ?
Les personnages de Canis ont quand même plutôt des psychologies humaines. La seule chose que j’emprunte au chien, ce sont les relations de domination, les règles hiérarchiques de la meute qui me font penser à ce qu’on peut retrouver chez les humains à plein d’endroits. C’est d’ailleurs un des gros thèmes de la série. La place de l’individu dans le groupe, dans la société et les manœuvres mises en œuvre pour améliorer ou conserver une position.
La deuxième chose que l’on exploite du chien, c’est sa compréhension limitée du monde. On s’est amusé à imaginer ce que le chien comprend de notre monde, de nos habitudes. Par exemple, pour eux, c’est absurde d’appeler les pompiers quand on trouve un nid de frelon sans essayer d’abord de le manger. Mais c’est plus un ressort de comédie qu’un trait psychologique que l’on peut scientifiquement observer chez le chien.
Et avec vos comédiens, comment avez-vous abordé cet exercice ? Ont-ils rapidement trouvé leur repère une fois leur costume porté ?
Dès le départ je me suis méfié de la direction qui consistait à singer physiquement le chien pour plusieurs raisons. La première étant de ne pas tomber dans le sketch. Le dispositif étant déjà très haut en couleur, je craignais un peu l’overdose si je demandais aux comédiens de se gratter, de gober les mouches ou de remuer la queue. Le deuxième risque c’était qu’on ait du mal à trouver une unité dans la façon de figurer les actions physiques du chien. Est-ce que les comédiens, dans le temps imparti, allaient réussir à trouver une cohérence collective dans la manière de faire le chien ? Pas évident sans vraiment travailler le truc… J’ai préféré éviter sans compter que ça avait du sens de les faire ressembler le plus possible à des humains.
Plus globalement quelles ont été vos inspirations pour ce projet ? La série Wilfred, qui a eu le droit a un remake américain avec Elijah Wood, en faisait-elle partie ?
Au départ j’ai vu des chiens qui se promenaient sur un golf. Je me suis dit qu’il y avait moyen de se raconter une histoire. Une fois le dispositif acté, les thèmes possibles, le récit adéquat (à mon sens) émerge un peu tout seul. Mais il est passé par beaucoup de chemin avant de trouver sa forme définitive. Je connaissais Wilfred et en effet il y a un lien visuel indéniable lorsqu’on regarde les costumes. Mais ce dont parle Canis Familiaris est très différent.
Il est intéressant de noter les choix opérés en terme de mise en scène pour que le spectateur se sente impliqué dans le parcours de cette meute, notamment avec cette alternance de plans larges et serrés, qui s’amuse avec les échelles de grandeur pour que les acteurs paraissent minuscules dans ces grands espaces épurés. Mais surtout la présence très succincte d’humain, dont on ne voit que des parties précises du corps. Pour humaniser les animaux, se séparer au maximum de l’Homme était une démarche nécessaire pour vous ?
Le choix de ne faire qu’évoquer l’humain sans le montrer est devenue évidente à un moment donné dans le processus d’écriture. Au départ ils étaient beaucoup plus présents et on les voyait de plain-pied, parler, agir. Et puis il y avait un truc qui ne fonctionnait pas bien finalement. En fait, si les chiens était une représentation des humains, de quoi les humains à l’écran étaient-ils la représentation ? Quand j’ai mis le doigt là dessus, j’ai décidé de les retirer au maximum et d’en faire des sortes de divinités sans forme. Il représentent dorénavant une entité à l’autorité supérieure, un mythe auquel les chiens se plient sans se poser de questions. Ça donnait une dimension humaine supplémentaire à ma petite société de chiens. Ils avaient dorénavant une croyance, un mythe collectif, une divinité à laquelle se soumettre.
Le reste de la mise en scène est motivée par deux choses. La première, c’est la volonté de représenter un monde très domestiqué, strict, ennuyeux et monolithique. Les cadres sont fixes, composés majoritairement à l’aide de verticales et d’horizontales. Il y a très peu de perspectives, quasiment aucune plongée ou contre-plongée. Lorsque les chiens se déplacent, ils traversent l’écran de part en part. Il n’existe que deux directions dans leur monde : l’est et l’ouest, la droite et la gauche. Tous les choix de mise en scène ont été opérés pour renforcer cette sensation d’ennui, de géométrie, finalement de domestication humaine. D’ailleurs le golf lui-même est un décor qui donne l’illusion de la nature alors que c’est une nature domestiquée à l’extrême.
La deuxième chose qui impose beaucoup à la mise en scène, c’est le budget. Nous n’avions pas forcément le luxe de multiplier les prises et les valeurs ce qui a imposé des arbitrages sur la manière de filmer l’action. C’est l’équilibre entre les contraintes et les besoins artistiques qui fait émerger cette mise en scène un peu théâtrale.