Archives par étiquette : Pierre Arditi

[Critique] Maestro(s), quiproquo en mi bémol

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Cinq ans après L’un dans l’autre, Bruno Chiche effectue son retour derrière la caméra avec Maestro(s), l’adaptation de Footnote de Joseph Cedar comprenant au casting Yvan Attal, Pierre Arditi, Miou-Miou, Caroline Anglade, Pascale Arbillot, Nils Othenin-Girard ou encore Caterina Murino, narrant l’opposition entre un père et son fils, tous deux chefs d’orchestre…

En se mettant à la baguette d’une transposition pour le moins libre de Footnote – qui était reparti du Festival de Cannes avec le Prix du Scénario en 2011 – Bruno Chiche suit le tempo d’une comédie dramatique où chaque mouvement doit apporter de la force à une confrontation filiale sur fond de rancœur et jalousie. Une partition malheureusement jouée maladroitement, l’orchestration de ce règlement de compte en mi bémol échouant à convaincre, la mélodie manquant cruellement de puissance lyrique.

Le principal problème du long-métrage réside dans ses choix d’ordre scénaristiques, le réalisateur ainsi que ses co-auteurs Yaël Langmann et Clément Peny replaçant la compétition père/fils propre à son modèle israélien dans le milieu artistique – plus précisément celui de la musique classique. Ce qui équivaut à un grand écart avec Footnote qui lui prenait racine dans le domaine universitaire, évoquant la religion au travers la compréhension du Talmud, champ de compétence de nos protagonistes. Une décision ayant pour conséquence de gommer un pan entier de sous-texte et de réduire l’analyse des rapports de force au sein d’un microcosme où l’ego à une place prépondérante à sa fonction primaire. Le rapport de force devant électriser la scène et échauffer les esprits se mue de ce fait en un face à face pour le moins convenu, les enjeux s’avérant futiles dramatiquement parlant.

Si l’on dit que la musique adoucit les mœurs, cela n’est aucunement le cas chez la fratrie Dumar, Denis et son paternel François étant loin d’être au diapason alors qu’ils occupent la même fonction, chef d’orchestre. Vivant dans l’ombre de l’autre au gré des exploits de chacun, les deux hommes se jaugent continuellement, entre piques et reproches. Une relation pour le moins dissonante, prenant une tournure ironique alors qu’un quiproquo vient donner une impulsion nouvelle à cet affrontement familial. Quand le patriarche se voit confier la direction de la prestigieuse Scala de Milan, ce dernier est loin de se douter qu’il y a eu maldonne. Le disque s’enraye quand la vérité éclate aux oreilles de son fils, cette opportunité le concernant lui et non son parent. Comment avouer ce malencontreux changement de situation, qui sera difficile à entendre ?

Tel est le nœud de Maestro(s), qui va tenter de trouver sa voie en capitalisant sur les problèmes de communication de son tandem principal pour faire tenir la note coûte que coûte. Hélas, l’intrigue est trop fragile pour que l’on s’investisse durant une heure trente dans ce règlement de compte ô combien mou du genou. Alors qu’il y avait matière à amplifier ce crêpage de chignon à coups de baguette, Bruno Chiche reste sur les acquis de ce malentendu initial et attend sagement que père et fils crève l’abcès. Sauf que cela s’effectue à un rythme apathique, les seuls soubresauts provenant de la bande originale du film, ce qui est une maigre consolation. Même au niveau de la direction d’acteurs se ressent un enthousiasme débordant, le réalisateur laissant Pierre Arditi et Yvan Attal s’enfermer dans des stéréotypes sans essayer de redresser la barre.

Si Miou-Miou et Caroline Anglade tente un minimum de s’investir, leur rôle est trop périphérique pour que le niveau se réhausse, de même pour Caterina Murino. Ce qui fait que nous passons le plus clair de notre temps en compagnie de ce tandem filial, qui n’a que trop peu à offrir, ce que l’on constate via la prestation d’Arditi et Attal, peu inspirée, surtout pour ce dernier qui paraît s’ennuyer ferme dans la peau de ce musicien paumé.

Difficile de se laisser emporter par Maestro(s), conflit filial sous fond de musique classique se voyant pénalisé par la partition orchestrée par Bruno Chiche, qui manque cruellement de puissance et de justesse

© VENDÔME FILMS – ORANGE STUDIO – APOLLO FILMS

[Bande annonce] Adieu Paris, repas gratiné au menu du prochain film d’Edouard Baer

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Après avoir été l’une des têtes d’affiches de La Bonne Epouse de Martin Provost l’année dernière, Edouard Baer s’est attelé à la mise en scène de son quatrième long-métrage, Adieu Paris. L’occasion idéale de réunir le gratin du cinéma français pour ce qui s’annonce comme une célébration de la vie, de ses bons et mauvais côtés, le tout à travers un repas entre amis un brin agité – comme en témoigne sa bande annonce.

En plus de trente ans de carrière, Edouard Baer se sera prêté plus d’une fois à l’exercice de la direction d’acteurs, davantage sur les planches qu’au cinéma mais l’écart se creuse petit à petit. Ainsi, cinq ans après Ouvert La Nuit, synonyme de virée nocturne au cœur de la capitale, notre chef d’orchestre nous convie de nouveau dans les rues de la ville Lumière – pour un dîner des plus classieux.

Au menu d’Adieu Paris, les retrouvailles d’un parterre de camarades de longue date, qui se plait à se rassembler de temps à autre autour d’une table, mets et cru de choix alimentant leurs discussions fait de tout et de rien. Un rituel immuable qui se grippe lorsqu’un différend romp l’équilibre de ce microcosme, amenant à un repas riche en sel et en amertume. Alors que les esprits s’échauffent et divaguent, nos personnages crèvent les abcès, règlent leurs comptes, pour un petit moment de détente qui se transforme en bûcher des vanités.

Nous retrouvons bien là la verve et le style d’Edouard Baer, qui profite du huis-clos que lui offre les quatre murs du bistro où se déroule l’intrigue pour mener à la baguette sa joyeuse troupe. Un casting quatre étoiles réunissant Benoît Poelvoorde, François Damiens, Pierre Arditi, Isabelle Nanty, Gérard Depardieu, Léa Drucker, Bernard Le Coq, Bernard Murat, Daniel Prévost et Jean-François Stévenin. De quoi promettre un instant de convivialité avec une telle tablée, ce que nous pourrons constater le 26 janvier sur grand écran.

Synopsis :

Un vieux bistro parisien au charme éternel. Huit messieurs à table, huit grandes figures. Ils étaient les « rois de Paris »… Des trésors nationaux, des chefs-d’œuvre en péril. Un rituel bien rodé… Un sens de l’humour et de l’autodérision intacts. De la tendresse et de la cruauté. Huit vieux amis qui se détestent et qui s’aiment. Et soudain un intrus…

[Critique] Les Choses Humaines, parole contre parole

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Deux ans après Mon Chien Stupide, Yvan Attal revient derrière la caméra avec une nouvelle adaptation, celle du roman éponyme de Karine Tuil intitulé Les Choses Humaines. Réunissant Ben Attal, Suzanne Jouannet, Charlotte Gainsbourg, Pierre Arditi, Audrey Dana, Mathieu Kassovitz, Judith Chemla et Benjamin Lavernhe au casting, le long-métrage s’articule autour d’une affaire d’agression sexuelle avec les conséquences qui en découlent…

Auréolé du prix Interallié ainsi que du Goncourt des lycéens en 2019, Les Choses Humaines de Karine Tuil s’attelait à démonter la mécanique du système judiciaire par le biais d’un récit implacable amenant à la réflexion sur la question du consentement avec une intrigue ambiguë à souhait. Une thématique forte et toujours – tristement – d’actualité, qui a tapé dans l’œil d’Yvan Attal, qui s’est réapproprié ce roman pour s’engager sur un terrain glissant, s’attelant à un drame aux allures de tragédie loin de laisser indifférent, jouant des zones d’ombres propre à la sordide histoire qui nous est présentée pour mettre le spectateur dans la peau d’un juré, dans le but de proposer un exercice réflectif sur la culture du viol et la notion de vérité.

Au cœur du long-métrage, une accusation et ses conséquences sur une galerie de personnages, touchés à des échelles différentes par le cours d’une soirée virant au cauchemar pour une jeune femme, qui se dit victime d’un viol par un homme. Le point de départ d’un engrenage pervers, emportant tout sur son passage. Comment a t-on pu en arriver là ? Qui croire dans un tel cas de figure ? D’épineuses et cruelles questions qui servent de moteur à une intrigue destinée à nous faire naviguer en eaux troubles, l’enjeu étant de nous plonger la tête dans un océan d’incertitudes pour mieux mettre en exergue la difficulté à émettre un jugement – d’autant plus à une époque où la réaction est immédiate. Pour aborder ce sujet complexe, la nuance se doit être de mise. Si l’on peut dénoter quelques maladresses d’ordre scénaristiques, dues notamment aux modifications apportées par le réalisateur et sa coscénariste Yaël Langmann qui, cherchant à désépaissir une intrigue fleuve font des choix structurels affaiblissant quelque peu la puissance du propos (à l’image de la caractérisation du personnage incarné par Pierre Arditi), dans l’ensemble saluons que le manichéisme ne soit pas de mise.

Divisé en trois parties distinctes, Les Choses Humaines s’affaire à nous présenter les différents partis avant de s’attaquer au vif du sujet, histoire de mieux se concentrer sur l’effondrement du château de carte établi devant nos yeux. C’est ainsi que nous sommes introduits à Alexandre, fils issu d’un milieu bourgeois, son père étant vedette de télévision et sa mère une intellectuelle féministe, revenant des États-Unis – où il étudie – pour assister à une remise de prix de son paternel. Profitant de son temps libre dans la capitale, le jeune homme fini par rendre visite à sa mère et y rencontre son nouveau compagnon, professeur de lettres, ainsi que sa fille. Une rencontre à priori anodine, qui préfigurait d’une bonne entente pour tourner rapidement à l’horreur. La gueule de bois d’une soirée ayant dégénérée est sévère, aussi bien pour les protagonistes que pour les spectateurs quand les forces de l’ordre viennent chercher Alexandre pour le placer en garde à vue suite à une plainte pour viol déposée par Mila. Un électrochoc qui vient fracturer l’équilibre des uns et des autres alors que se pose tout un tas de questions sur les événements ayant mené à cet acte.

Un sujet délicat traité par le vecteur du regard, de la parole, amenant à un examen clinique de la situation de la part d’Yvan Attal, sa caméra restant à bonne distance pour laisser planer le doute sur les faits énoncés, les réactions de chacun servant de matière à nourrir cette confusion que veut entretenir le réalisateur. Cette froideur est d’ailleurs un élément qui a toute son importance dans notre manière d’appréhender ce fait divers, avec cette volonté manifeste de flouter les lignes de fuite pour que toutes les vérités soient entendues, quitte à déplaire. De l’effarement arrive la colère, l’incompréhension et les critiques fusent de chaque côté, un point intéressant à suivre car permettant de mettre en lumière des problématiques sociales avec deux milieux qui ne se comprennent pas entre l’univers gauche caviar dans lequel navigue Alexandre et le monde plus conventionnel, plus strict dans lequel a été élevé Mila, où la religion à une place importante. De ce fait, parmi les dommages collatéraux de cette agression, s’exposent une certaine lutte de classes – où la perception d’une même notion diverge selon l’éducation reçue, notamment celle du consentement, avec une peinture peu flatteuse de certaines castes, pensant que tout leur est dû, leur est acquis.

Deux visions diamétralement opposées, dont va s’alimenter Les Choses Humaines pour son réquisitoire, dans sa troisième et ultime partie, qui devient un film de procès. Un acte brillamment mené, où les cartes sont sans cesse redistribuées pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre selon les plaidoiries des avocats, les dires des témoins et les confessions des prévenus. En privilégiant les plans séquences dans l’enceinte du tribunal, Yvan Attal permet à sa distribution de montrer l’étendu de leur talent, et si Charlotte Gainsbourg, Pierre Arditi, Audrey Dana, Mathieu Kassovitz, Judith Chemla et Benjamin Lavernhe n’ont plus rien à démontrer, ce choix de mise en scène théâtral permet surtout au plus jeunes de se révéler. Ainsi, Ben Attal et Suzanne Jouannet montre l’étendue de leur palette de jeu, riche en variations et nuances, donnant de l’épaisseur à leur alter-ego, Alexandre et Mila – avec à la clé des prestations magnétiques, le tandem étant l’atout du long-métrage, mis en valeur comme il se doit par un réalisateur inspiré par son sujet.

Avec Les Choses Humaines, Yvan Attal livre une adaptation solide de l’œuvre de Karine Tuil qui, s’il n’a pas la carrure de son modèle littéraire, transpose avec une certaine efficacité les thématiques développées par l’autrice sur les questions du consentement, de la vérité et de la machine judiciaire. En résulte un drame gagnant en aspérité, en intensité alors que le spectateur est pris à parti, devant entendre toutes les versions de cette douloureuse affaire de viol pour en saisir les nuances – aussi désagréables soient-elles. De cette navigation en zone grise, jouant de son ambiguïté, un seul fait est certain : Ben Attal et Suzanne Jouannet sont des talents à suivre.

© CURIOSA FILMS – FILMS SOUS INFLUENCE – GAUMONT – FRANCE 2 CINÉMA