Six ans après avoir chapeauté la première saison de Lastman, Jérémie Périn poursuit son exploration du monde de l’animation avec son tout premier long-métrage, Mars Express, comprenant au casting vocal Léa Drucker, Mathieu Amalric, Daniel Njo Lobé ou encore Marie Bouvet. Présenté en avant-première lors de la 24e édition de l’Arras Film Festival, celui-ci nous entraîne sur la surface de la planète rouge pour une enquête sous influences…

Sortie galvanisés de l’expérience Lastman, Jérémie Périn de même que l’équipe aux manettes de la première saison de la série se sont réunis autour d’un nouveau projet commun, s’articulant autour de la science-fiction. Un genre restant encore assez marginal dans l’univers de l’animation made in France, en particulier sur grand écran, laissant ainsi au cinéaste un immense espace de liberté pour sa première expérience cinématographique, un polar futuriste n’hésitant pas à verser dans le néo-noir pour atteindre sa cible, avec une investigation trouble dans les entrailles de la planète rouge servant de moteur à une réflexion nihiliste sur les dérives du capitalisme.

En compagnie de son coscénariste Laurent Sarfati, Jérémie Périn se met aux manettes d’une production ambitieuse d’où plane l’ombre de Philip K. Dick, qui paraît être l’une des sources d’inspirations de cette virée en eaux troubles, l’esprit de Blade Runner côtoyant l’atmosphère d’un Chinatown pour nourrir une intrigue riche de ses thématiques ô combien pertinentes quant à une société où les nouvelles technologies servent d’écran de fumée à une amère réalité, dominée par la corruption et la course aux profits. Une gangrène diluant progressivement son poison au gré du parcours sinueux sur lequel s’engage un tandem de détectives, devant démêler le vrai du faux quant à la disparition d’une étudiante en cybernétique au cœur de la cité martienne de Noctis, qui se veut une topie libertarienne. Une affaire s’avérant plus compliquée que prévue pour Aline Ruby et son partenaire androïde Carlos Rivera, qui se retrouvent malgré eux au beau milieu d’un sac de nœuds politico-économique qui, en se démêlant, révèle sa nature corrosive.

Qui du robot ou de l’humain a le moins de cœur ? Telle est la question centrale faisant fonctionner à plein régime le processeur qu’est le script de Mars Express, apportant des réponses nuancées à celle-ci en interrogeant des notions fortes, allant du libre-arbitre (évoquant les fameuses lois dictées par Isaac Asimov) à la manipulation de masse tandis que la recherche de la jeune Jun Chow par notre duo de protagonistes sert d’élément déclencheur à la mise au jour d’un complot pouvant modifier à tout jamais le paradigme entre l’homme et l’intelligence artificielle, reposant sur de fragiles fondations. Jamais écrasée par ses références de poids, le film trouve ainsi sa propre identité, se servant à bon escient des codes du thriller et de la S-F pour donner du corps à son intrigue, ne cessant de gagner en épaisseur.

Implacable, l’enquête d’Aline et Carlos les entraînent sur un terrain glissant, leur obstination conduisant à soulever un lièvre quant au rôle de corporations peu scrupuleuses sur des institutions autrefois vénérables, avec comme point d’orgue un acte final explosif, où l’action va de pair avec la violence. Ce qui amène Jérémie Périn a clôturer cette analyse d’un monde abandonnant son humanité pour le cynisme avec brio, les arcs narratifs s’achevant sur une note pessimiste qui lui sied à merveille. Outre le soin apporté à l’écriture, apprécions le sens de la mise en scène du réalisateur qui, avec l’aide des animateurs du studio Je Suis Bien Content, parvient à immerger avec style le spectateur au sein de cet univers, design 2D et 3D se confondant avec justesse dans le cadre, jouant de la verticalité et de la profondeur pour apporter de la fluidité aux moments de bravoure émaillant Mars Express.

Apprécions également le soin porté aux différents environnements composant Noctis Labyrinthus qui, en dépit de sa localisation sur la planète rouge sait faire la jonction entre architecture moderne et futuriste avec simplicité. Visuellement, les parti-pris sont payants et l’on se laisse agréablement embarquer dans cette aventure en eaux opaques, servi par une distribution investie, comme le démontre par exemple la prestation vocale de Léa Drucker, charismatique dans la peau d’Aline Ruby, personnage tout en contraste.

Avec Mars Express, Jérémie Périn démontre que l’animation française en a dans le ventre, mettant en scène une proposition de S-F réjouissante, plongeant avec brio le spectateur dans un polar néo-noir au cœur de la planète rouge.

© Gebeka Films

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