L’orage gronde une nouvelle fois à Hollywood. Alors que le paysage cinématographique et télévisuel poursuit sa mue, notamment via la recrudescence des plateformes de SVOD, un bras de fer entre trois puissants syndicats vient de mettre en exergue les problèmes inhérents à cette évolution. Exploités jusqu’à la moelle dans une industrie qui veut toujours aller plus vite, sans chercher à améliorer les conditions de travail, les scénaristes ont pris la décision d’arrêter d’écrire depuis le 2 mai. Le point de départ d’une bataille d’envergure, s’effectuant tout d’abord entre la Writers Guild of America et l’Alliance of Motion Picture and Television Producers (avant de se propager à un autre corps de métier, comme nous le verrons plus bas) suite à l’échec de leurs négociations, qui portaient sur la stabilité du métier de scénariste, éprouvé ces derniers temps. À une époque où les studios cherchent à faire des économies, ce que l’on a pu récemment constaté avec le grand ménage effectué par David Zaslav au sein de Warner Bros. Discovery, le syndicat formulait plusieurs revendications pour tenter d’améliorer la situation, comme l’a détaillé The Hollywood Reporter, sur lequel nous nous sommes appuyés.

Parmi leurs principales demandes, la consolidation des équipes de scénaristes (la fameuse writers room) avec l’embauche d’un nombre minimum de salariés pour mener à bien le développement d’une série, le nombre de productions ayant plus que quadruplé en une décennie avec l’avènement des plateformes. D’ailleurs, la WGA avait évoqué avec l’AMPTP la question de la rémunération et plus précisément des arriérés – à savoir l’argent perçu au bénéfice des droits d’auteur. Actuellement, ces revenus sont plafonnés et le syndicat aurait aimé que ce système prenne en compte la popularité des séries et longs-métrages pour que les montants augmentent selon le succès d’un titre. Hélas, difficile de réellement connaître les audiences sur les différents services de streaming, ceux-ci étant des plus opaques (on parle d’ailleurs de minutes visionnées et non de nombre de téléspectateurs). Même combat concernant les films développés pour ces dernières, avec la volonté de les considérer comme faisant partie du cadre de l’exploitation cinématographique et donc d’être payé en conséquences. La Guilde voudrait que cela soit pris ne compte à partir des productions dotées d’un budget de 12M$, l’alliance souhaiterait que cette revalorisation s’établissent à partir des longs-métrages d’un montant de 40M$.

Ensuite, avec l’émergence de l’intelligence artificielle et d’outil tels que ChatGPT et MidJourney, le domaine de la création est mis en danger, d’autant plus lorsque cela signifie pour les producteurs gain de temps et d’argent. Clairement, nous arrivons à un tournant dans l’industrie et la Writers Guild of America en est bien consciente, demandant une régulation quant à l’utilisation de l’IA, qui pourrait coûter le poste de nombreuses personnes. En vue, la mise en place d’une clause afin de laisser les scénaristes garder la main sur le processus d’écriture. Des revendications importantes, qui ont reçu un fin de non-recevoir de la part de l’Alliance of Motion Picture and Television Producers. Ce qui a logiquement amené à ce choix de faire grève et de paralyser Hollywood, comme cela fût le cas il y a quinze ans.

Scénaristes et acteurs contre Hollywood. Qui gagnera le bras de fer ?

Pour rappel, en 2007, la grève avait duré cent jours et avait modifié la trajectoire d’innombrables séries, qui ont du revoir leur storylines au gré de l’avancement des négociations. En avait résulté des saisons écourtées. Rappelons-nous par exemple de Heroes ou encore de Friday Night Lights, qui auront vécu des moments compliqués en terme de structure narrative, leur deuxième saison se révélant chaotiques. Au cinéma, Transformers : La Revanche et Quantum Of Solace avaient également fait les frais de ce cas particulier, Paramount et MGM ayant préféré démarrer le tournage sans avoir de script finalisé dans les mains.

Effective depuis maintenant deux mois, celle-ci se traduit donc par l’arrêt des projets en cours d’écriture, que ce soit pour le petit ou le grand écran. Tous les programmes scriptés sont concernés et les effets s’en sont directement fait ressentir à la télévision américaine, les late shows (Jimmy Fallon, Jimmy Kimmel, Seth Ferguson..) et le Saturday Night Live cessant leur diffusion, laissant place à des rediffusions. Au niveau des séries proposées sur les principaux networks, l’impact de la grève se fera sans nul doute ressentir à la rentrée, peu importe si un accord est signé d’ici la fin de l’été. Dans le milieu du septième art, plus un script ne sera corrigé, peaufiné, le mot d’ordre étant de poser sa plume et d’abandonner tout travail d’écriture. Cela va sans dire que les conséquences seront visibles, sachant que les calendriers des studios vont devoir être revus. D’autant plus s’il n’y a plus personne pour jouer devant la caméra.

Car ce qui est désormais certain, c’est que ce conflit durera bien plus longtemps que prévu et aura bien plus d’impact puisque les acteurs viennent d’entrer dans la partie, se montrant solidaires avec les scénaristes et voulant également de meilleurs conditions et de réelles mesures concernant le contrôle de l’intelligence artificielle. En effet, le 14 juillet a marqué un tournant dans cette lutte, la SAG-AFTRA, le principal syndicat des acteurs américains (comptant plus de 160 000 membres) annonçant se joindre au mouvement initié par WGA, amorçant une paralysie de taille qui pourrait faire plier l’alliance des producteurs car un tel cas de figure n’était plus arrivé depuis 1960.

Tout comme leurs camarades scénaristes, les comédiens et comédiennes viennent de cesser de travailler, tenant également le piquet de grève suite au refus de l’Alliance of Motion Picture and Television Producers de répondre à leurs sollicitations – en particulier sur les droits résiduels du streaming. De quoi mettre un nouveau coup de pression à la fameuse machine hollywoodienne, studios et gros bonnets devant revoir leur stratégie du pourrissement face à ce front commun. Déjà moindre depuis mai, les tournages de longs-métrages et séries US sont pour quasiment tous stoppés, à l’exception par exemple de la seconde saison de House of Dragons, le casting ainsi que l’équipe technique étant majoritairement britannique. Les acteurs se seront plus présents pour procéder à la promotion des productions à venir (hormis les interviews réalisées avant la grève) et ne fouleront de ce fait plus aucun tapis rouge, ce qui va compliquer la tenue de bon nombres de festivals, à commencer par la Biennale de Venise.

Prenant une nouvelle ampleur, ce conflit va entrer dans les annales, chaque camp n’étant pas prêt à céder du terrain. Il n’y a désormais plus qu’à s’installer sur son fauteuil et attendre l’avancée de cette grève, qui perturbera en profondeur l’industrie cinématographique et télévisuelle pour les mois à venir.

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