Huit ans après son premier long-métrage, Blind : Un Rêve Eveillé, le scénariste et réalisateur norvégien Eskil Vogt fait son retour derrière la caméra avec The Innocents, Comprenant au casting Rakel Lenora Fløttum, Alva Brynsmo Ramstad, Sam Ashraf et Mina Yasmin Bremseth Asheim, le long-métrage se centre sur des enfants se découvrant des dons hors du commun…

Scénariste attitré de Joachim Trier, Eskil Vogt vole une nouvelle fois de ses propres ailes, s’aventurant dans le domaine horrifique pour son second essai, un genre qu’il avait commencé à explorer avec son comparse pour les besoins de Thelma en 2017 et qu’il arpente désormais seul. Bien lui en a pris, The Innocents étant un thriller glaçant qui déstabilise son public en pervertissant (comme son titre l’indique) l’innocence propre à l’enfance, ce qui donne lieu à un conte macabre prenant plaisir à distiller une ambiance malsaine.

Au programme de ce long-métrage, les turpitudes propres à cette période transitoire de l’existence où la porte vers le monde des adultes s’entrouvre pour le meilleur et pour le pire. En flirtant avec le surnaturel pour exposer cette transformation, le cinéaste ne sort pas des sentiers battus, ce sujet ayant été maintes fois abordé même dans le cinéma de genre. Ce qui fait souvent la différence dans ces cas-là est le traitement choisi pour que le spectateur se laisse embarquer dans ces histoires de perte d’ignorance, de pureté. Ici, tout est question de sensibilité, l’intrigue se concentrant sur l’impact émotionnel émanant de ce nouveau rapport au monde, savoir contrôler ses émotions n’étant pas chose aisé – d’autant plus lorsque l’on est jeune. Cette difficulté à appréhender ces changements que l’on ne maîtrise pas toujours prend de ce fait corps à travers un récit épuré, qui privilégie l’instauration d’un climat de défiance et ce afin de donner de la résonnance à ses thématiques.

Se situant au cœur d’une banlieue norvégienne, The Innocents s’articule autour d’un groupe d’enfants solitaires qui, en faisant la connaissance de l’autre, trouvent la compagnie qui leur manquait. Venant d’arriver dans le quartier avec ses parents et sa sœur Anna, autiste, la jeune Ida peine à trouver ses marques. Sa rencontre avec Ben et Aisha qui, comme elle se sentent isolés, change la donne, ouvrant à chacun un nouveau champ des possibles. Sauf qu’à cet âge ingrat, tout peut vite dégénérer – d’autant plus lorsque ces derniers se découvrent des habilités dépassant les frontières du réel. Dès lors, l’insouciance de la jeunesse se voit ainsi obscurcie sur l’autel de la cruauté, les expérimentations de nos protagonistes prenant une tournure ô combien malsaine. Se nourrissant de la noirceur s’imprégnant progressivement dans chaque pore de la pellicule, le scénario concocté par Eskil Vogt tire profit de cette ambivalence, traitant des problèmes liés à l’enfance en restant sur le fil de l’horreur, pour un numéro d’équilibriste réussi.

En résulte un examen froid et clinique des rapports humains, avec la mise en place d’un jeu de pouvoir – aussi bien physique que psychologique – où l’innocence s’efface sur l’autel de la violence. Dans l’enceinte du quartier servant de cadre à l’intrigue, nos gamins hors du commun instaurent une atmosphère délétère, du délitement de leur relation naissant un conflit larvé, dont les conséquences ne tardent pas à apparaître. L’odeur de la peur et le spectre de la mort se font ainsi cruellement ressentir entre les blocs de bétons, manipulations et actes immoraux amenant à une escalade de la situation – où ni enfants ni adultes ne sont en sécurité. Prenant plaisir à nous déstabiliser, le réalisateur renforce ce côté sadique grâce à une mise en scène millimétrée – principalement orientée sur le regard – qui bénéficie d’une sublime photographie signée Sturla Brandth Grøvlen, l’ensemble venant apporter un poids considérable à l’ambiance sinistre instillé d’un bout à l’autre de The Innocents. Rajoutons à cela une direction d’acteurs maitrisée, prenant fait de cette notion de perversion de l’innocence, Rakel Lenora Fløttum, Alva Brynsmo Ramstad, Sam Ashraf et Mina Yasmin Bremseth Asheim parvenant à se montrer horribles devant la caméra d’Eskil Vogt, qui s’amuse habilement de cette ambiguïté en se concentrant sur le visage angélique de ses interprètes.

Pour son retour derrière la caméra, Eskil Vogt transforme l’essai, nous livrant une œuvre noire sachant ménager ses effets, nous montrant la cruauté de l’enfance à travers un récit glaçant tirant sa force de ses emprunts aux codes du thriller et de l’horreur. Si sa trame reste classique, The Innocents se révèle convaincant grâce aux angles choisis par le réalisateur en terme d’écriture et de réalisation, appuyant avec justesse sur les curseurs amenant à la subversion, laissant ainsi un impact sur le spectateur.

© Kinovista

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