Un an après Tout s’est bien passé, François Ozon est de retour à la réalisation avec Peter von Kant, adaptation libre de la pièce Les Larmes amères de Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder, comprenant Denis Ménochet, Isabelle Adjani, Hannah Schygulla, Khalil Gharbia ou encore Stefan Krepon au casting et s’articulant sur la rencontre entre un réalisateur de cinéma et un aspirant acteur…

Ce n’est un secret pour personne, l’œuvre de Fassbinder a une place de choix dans le cœur de François Ozon, qui s’est déjà attelé par le passé à l’adaptation d’une de ses pièces, Tropfen auf heiße Steine, devenue sur grand écran Gouttes d’eau sur pierre brûlante. Vingt-deux ans après ce premier hommage, le réalisateur se prête de nouveau à l’exercice mais en y apposant cette fois davantage sa patte, pour une réappropriation synonyme de mise en abîme, Peter von Kant analysant sur pellicule l’amour et sa puissance dramaturgique.

Déjà transposé à l’écran au beau milieu des années 1970 par son auteur, Les Larmes amères de Petra von Kant opère sa mue devant la caméra d’Ozon, qui troque l’univers de la mode pour celui du septième art et change le sexe de son principal protagoniste ainsi que de son amant, ces modifications apportant une caisse de résonnance complémentaire à son modèle – démontrant de sa modernité. Dans ce huis-clos passionnel, le désir se consume à petit feu pour ne laisser derrière lui que tristesse et désolation, brûlant les cœurs pour les laisser en miettes, un sujet porteur qui profite justement de sa dimension théâtrale pour laisser le poids des émotions alourdir l’atmosphère du lieu unique où se déroule l’intrigue, donnant du cachet à la lente déambulation d’âmes en peine, dont les excès servent d’écran de fumée à la vacuité de leur existence.

Dans le décor du grand appartement de Peter von Kant, un réalisateur dont la carrière est au firmament, se noue doucement mais sûrement un drame sentimental alors que l’homme fait une rencontre pimentant un quotidien qui, malgré la lumière des projecteurs, s’avère obscure. Tel un fauve en cage, celui-ci fait les cents pas tout en ruminant, prenant un plaisir sadique à s’en prendre sans vergogne à Karl, son assistant, mutique témoin des frasques de son employeur. Sous ses yeux, et ceux du spectateur, se déroule une romance incandescente, ne pouvant que se terminer en cendres, alors que le metteur en scène rencontre un jeune premier, cherchant à se faire une place dans ce monde de strass et paillettes. L’étincelle allumant la mèche, puisque de ce face-à-face entre le quarantenaire et son cadet, se créée une alchimie immédiate, dérivant sur un plaisir charnel. Mais de l’amour à la haine il n’y a qu’un pas, ce que François Ozon expose avec justesse à travers cette relecture de Fassbinder, qui ne trahit aucunement l’essence de son intrigue.

Si peu de place est laissée à la surprise, surtout pour les connaisseurs de RWF, on se laisse volontiers prendre par la main grâce au soin apporté par le réalisateur à la direction d’acteurs, qui fait le sel du long-métrage, à commencer par le magnétisme de dégageant de la partition de Khalil Gharbia, jeune premier en quête de lumière. Pour sa première incursion dans l’univers d’Ozon, Isabelle Adjani rayonne et se plaît à incarner Sidonie, actrice flamboyante et support moral de choix de von Kant – même si elle aurait gagner à être plus présente. Un détail finalement infime tant la performance de Denis Ménochet accapare l’attention, ce dernier étant l’atour majeur de ce délitement romantique entre quatre murs, sachant parfaitement alterner entre grandiloquence et sensibilité, sa large palette de jeu étant utilisée à bon escient par le réalisateur, dont la caméra scrute dans les moindres détails ses expressions faciales, corporelles. Si au niveau de la mise en scène, la forme initiale de l’œuvre empêche limite la construction des plans, Ozon parvient tout de même à insuffler de temps à autres de la poésie, à l’aide de transitions bien pensées.

Egalement intéressant à décortiquer, les multiples références à Fassbinder disséminés de long en large de cette relecture des Larmes amères de Petra von Kant, allant de la présence de Hannah Schygulla, une de ses fidèles comédiennes, à l’utilisation d’une chanson de Querelle, son ultime film. Une belle preuve d’amour de la part de l’élève à son maître.

Avec Peter von Kant, François Ozon s’ennivre de l’essence de Fassbinder à travers une variation inspirée de l’une de ses œuvres les plus célèbres, donnant à un huis-clos passionnel porté par un flamboyant Denis Ménochet, qui illumine la pellicule de son aura.

© Diaphana Distribution

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