[Critique] Le Blues de Ma Rainey, ambiance électrique
Trois ans après La Vie Immortelle d’Henrietta Lacks, le dramaturge George C. Wolfe est de retour derrière la caméra pour porter à l’écran Ma Rainey’s Black Bottom, la pièce de […]
Pour ceux qui se font des films en séries
Trois ans après La Vie Immortelle d’Henrietta Lacks, le dramaturge George C. Wolfe est de retour derrière la caméra pour porter à l’écran Ma Rainey’s Black Bottom, la pièce de […]
Trois ans après La Vie Immortelle d’Henrietta Lacks, le dramaturge George C. Wolfe est de retour derrière la caméra pour porter à l’écran Ma Rainey’s Black Bottom, la pièce de théâtre d’August Wilson. Titrée Le Blues de Ma Rainey en France, cette adaptation comprenant au casting Viola Davis, Chadwick Boseman, Colman Domingo, Glynn Turman, Jeremy Shamos, Taylour Paige, Jonny Coine et Michael Potts, nous entraîne dans l’enceinte d’un studio d’enregistrement où une session menée pour la célèbre Ma Rainey va être source de crispations…
Avec Le Blues de Ma Rainey, George C. Wolfe livre une adaptation incandescente de Ma Rainey’s Black Bottom d’August Wilson, réussissant à capter l’énergie bouillonnante de cette pièce et à transposer avec tact la verve haute du dramaturge, pour ce qui s’avère être un drame s’enfonçant progressivement dans la tragédie.
Ceux connaissant l’œuvre de Wilson savent que le cœur de son œuvre est la cause afro-américaine aux États-Unis, ce dernier ayant mis un point d’honneur à mettre en exergue les difficultés d’intégrations de ce peuple dans une nation qui, pendant des siècles et encore aujourd’hui, ne le traite pas sur un pied d’égalité. L’auteur a d’ailleurs été récompensé de deux Prix Pulitzer pour son travail, le premier pour The Piano Lesson et le second pour Fences, que Denzel Washington a adapté au cinéma il y a trois ans. D ‘ailleurs l’acteur est attaché à la production de ce projet qui nous accapare ici tandis que Viola Davis, déjà présente dans ce précédent film, est de retour devant la caméra, pour camper le rôle principal, celui de la chanteuse Gertrude “Ma” Rainey alias la “Mère du blues”, grande figure de ce genre musical ayant aidé à sa popularité au début du XXe siècle. Un personnage réel pour un récit fictif, qui s’attèle à nous démontrer que contrairement à l’adage, la musique n’adoucit pas les mœurs, surtout dans un monde marqué par la discrimination.
Reprenant fidèlement la trame originale de son homologue scénique, le scénario de Ruben Santiago-Hudson nous plonge dans l’Amérique des années folles et plus précisément en 1927 dans une ville de Chicago en proie à une chaleur accablante pour l’enregistrement en studio du titre Ma Rainey’s Black Bottom, une session musicale qui se transforme rapidement en débats d’idées prenant alors une dimension sociale avec discussions endiablées et engagées au programme, alors que producteurs et musiciens attendent l’arrivée de l’artiste au tempérament de feu. Le long-métrage se joue principalement en huis-clos, procédé théâtral utilisé ici à bon escient car essentiel aux tenants et aboutissants de l’intrigue. Le texte et la performance priment donc sur la réalisation mais que les plus inquiets se rassurent, si George C. Wolfe laisse sa caméra être simple spectatrice des tensions sous-jacentes, son sens de la mise en scène et de la direction d’acteurs en faisant un atout indéniable dans l’efficacité générale de ce drame, qui dissipe savamment une atmosphère électrique menant jusqu’à l’inévitable point de rupture.
Se partageant entre deux pièces, la salle d’enregistrement et celle alloué aux répétitions, Le Blues De Ma Rainey fait donc habilement monter la pression avec cet enregistrement qui ne se concrétise pas, la faute à une série de contre-temps mettant à mal la séance que ce soit le retard de la chanteuse ou encore son comportement ainsi que celui de Levee, trompettiste ambitieux au caractère fougueux. Différents couacs qui cristallisent les dissonances et fissure l’unité du groupe, menant alors à des confrontations. De ces véhéments règlements de compte, qui s’intensifient au fur et à mesure que leur teneur s’épaississent, s’obscurcissent, exposant à la fois les divergences d’opinions entre les générations face à une société qui ne les considèrent pas à leur juste valeur et dénonçant le mépris de cette Amérique raciste, s’appropriant la culture afro-américaine pour leurs propres intérêts.
Un constat amer personnifié par Levee, dont le parcours se révèle être une succession de déconvenues, son avidité et sa prétention sacrifiant son chemin vers la gloire et la reconnaissance de ses pairs. Se brûlant les ailes, le musicien suit un destin tragique et sa descente aux enfers est ce que l’on retient avant tout du long-métrage et ce grâce à Chadwick Boseman. L’acteur, qui tient ici son dernier rôle, vole la vedette à tout le monde – même à l’excellente Viola Davis qui en impose dans la peau de Ma Rainey – avec une prestation habitée et magnétique. Ce dernier se démène corps et âme, témoignant d’une implication totale dans ce projet, avec un jeu oscillant entre extravagance et fragilité, une dualité permettant de souligner les contradictions de Levee ainsi que sa progressive perte de repères. Une partition au final émouvante quand, rétrospectivement, on sait avec quel mal se battait le comédien pour un chant du cygne marquant.