Invitée de la vingtième édition de l’Arras Film Festival, Alice Winocour a présenté son nouveau long-métrage, Proxima, qui comprend au casting Eva Green, Matt Dillon, Sandra Hüller, Lars Eidinger, Zélie […]
Invitée de la vingtième édition de l’Arras Film Festival, Alice Winocour a présenté son nouveau long-métrage, Proxima, qui comprend au casting Eva Green, Matt Dillon, Sandra Hüller, Lars Eidinger, Zélie Boulant-Lemesle et nous fait suivre le parcours d’une astronaute française, s’apprêtant à partir dans l’espace et à laisser sa fille sur Terre (critique à lire ici).
À cette occasion, SeriesDeFilms a pu réaliser un entretien avec la réalisatrice, en tandem avec Benjamin Deneuféglise, rédacteur sur LeMagDuCiné, que vous pouvez lire ci-dessous :
LeMagDuCiné : J’avais vu votre film Maryland, que j’avais adoré et je trouvais qu’il y avait un point commun entre celui-ci et Proxima : dans Maryland il y avait une peur très abstraite, pas toujours présente à l’écran et je trouvais intéressant que dans Proxima, il y ait cette forme d’abstraction avec ce travail sur l’espace et toutes les peurs qui y sont liés, de même que sur les conditions de survie.
Effectivement pour moi ces films ont beaucoup de correspondance, également avec Augustine. J’aime bien cette espèce de rapport un petit peu physique au cinéma, de voir un rapport au corps et aussi une forme de rapport inquiet au corps. Dans Maryland c’était un soldat qui n’avait plus le contrôle de son corps, qui était défaillant et là c’est une femme qui est en train de devenir une space-person donc de muter, quittant du coup son enveloppe terrestre. Elle regarde aussi un peu son corps comme quelque chose d’un peu étranger donc effectivement oui pour moi c’est très important cette physicalité. Le cinéma de Cronenberg c’est vraiment un cinéma qui m’a beaucoup construite dans sa visceralité, c’est ça qui me touche au cinéma et je voulais aussi que ce soit quelque chose de présent dans le thème du rapport mère/fille, je le pensais aussi comme un rapport physique.
SeriesDeFilms : Est-ce que ce rapport filial entre une mère et sa fille était vraiment le point de départ de votre film avant de penser à l’espace ?
En fait ça s’est vraiment passé simultanément parce que j’ai tout de suite eu cette image de la femme astronaute parce que je trouvais intéressant cette idée d’une super-héroïne qui peut être aussi une mère. Dans les films sur l’espace il y a beaucoup de femmes fortes mais elles sont souvent sans enfant et si elles ont des enfants ils sont morts comme dans Gravity alors moi je trouvais intéressant de ne pas aller dans cette direction et de montrer comment ces femmes avec des enfants, comme on le voit à la fin du générique, vivent cet arrachement, ou pas et dans ce cas comment se passe la séparation. Je trouvais ça intéressant car cela résonnait avec la problématique de la séparation avec la Terre.
SeriesDeFilms : Ça se ressent aussi dans votre mise en scène avec toutes les façons que vous avez trouvé de séparer physiquement mère et fille avec l’utilisation de différentes caméra ou par exemple la scène avec la vitre.
Ça me fait plaisir que vous en parliez parce qu’en fait c’est une scène dont on parle peu et pour moi elle est assez fondamentale. Ça s’inspire de la réalité puisque l’on a tourné dans des vrais décors et c’est la particularité du film. On tourne dans les vrais décors, les vrais centres d’entraînements spatiaux et moi je trouvais qu’il y avait un côté presque théâtral dans cette confrontation à travers la vitre, il y avait l’idée d’être dans les limbes avant le grand départ. Oui j’avais l’impression que c’était un parloir avant le fait de s’en aller. J’ai filmé un vrai décollage et il y dans ce passage il y a aussi cette sensation de voir quelqu’un monter au ciel .
SeriesDeFilms : Avec également un travail sur le son.
Oui alors ça correspond aussi à une réalité de la pièce mais moi je pensais à une scène de Paris, Texas où il y a la confrontation avec l’homme quand ils se retrouvent mais pour moi il y avait vraiment cette idée de dernier au-revoir.
LeMagDuCiné : Il y a quelque chose qui m’a frappé quand vous parliez de Cronenberg en ce qui concerne le corps mais au niveau émotionnel, je ne sais pas du tout si c’était votre volonté, je trouvais qu’il y avait quelque chose d’assez Spielbergien sur le travail de l’enfance. Vous parlez notamment de la séparation forcément entre l’enfant et le parent ce qui est le thème certes, toi (SeriesDeFilms) tu parlais de la scène de la vitre, ce qui me fait beaucoup penser à E.T. avec l’enfant qui a cette vitre devant elle et qui cherche encore un contact avec sa mère.
C’est presque un sous-genre aux Etats-Unis les films où l’on regarde les étoiles. Il y a des gens qui m’ont dit aussi c’est plutôt Objectif Lune plutôt que On A Marché Sur La Lune. C’est aussi l’idée que le rêve de l’espace est presque plus beau que l’espace lui-même, en tout cas chez la mère, mais c’est aussi comment dompter ce rêve, en tout cas l’atteindre et aussi l’accepter, le faire accepter à sa fille qui est elle plutôt terrienne. À partir de l’émotionnel, effectivement j’ai cherché à travailler ce rapport à l’émotion chez quelqu’un, ce personnage de femme astronaute, qui est dans la retenue puisqu’en fait je me suis inspiré de ce que sont vraiment les femmes astronautes, c’est à dire des militaires. Elles ne sont pas toutes pilote de chasse mais il y en a beaucoup et quand on est dans un Soyouz et qu’on a plusieurs tonnes d’explosifs sous les fesses on n’a pas intérêt à avoir la main qui tremble.
Du coup je trouvais ça intéressant de voir aussi quel type de mère étaient ces femmes puisque trop souvent on ne les imagine pas avec des enfants, probablement parce que elles-mêmes ne mettent pas ça en avant. En fait elles ont intégré l’idée que dans des métiers hyper-compétitifs cela pouvait être associé à une faiblesse mais moi en tout cas dans les films d’espace, qui sont majoritairement masculins et majoritairement américains, je trouve que c’est toujours une vision très viriliste, un petit ultra-conquérante alors que moi quand j’ai rencontré ces astronautes je me suis rendu compte qu’ils étaient à l’opposé de cette représentation.
Être astronaute c’était faire l’expérience de la fragilité humaine. Pour moi ces astronautes étaient un peu comme des dieux grecs, c’est à dire des gens avec des super-pouvoirs ou des héroïnes avec des super-pouvoirs mais qui ont des défauts très humains auxquels on peut s’identifier. Au début c’est quelqu’un qui agit comme une machine, on la découvre avec cet exosquelette, cette main articulée puis à la fin elle se laisse rattraper par ses émotions, elle les découvre. Elle devient humaine avant de partir dans l’espace, pour moi c’était ça le chemin.
LeMagDuCiné : C’est l’expérience humaine avant l’expérience de la mythologie de l’espace que vous avez proposé.
Exactement parce qu’en fait l’espace correspond de plus en plus à une réalité et moins à de la science-fiction mais aussi parce que je trouvais intéressant de proposer une version alternative et que ce ne soit pas uniquement cette vision puisque même les astronautes américains s’entraînent à Houston à la NASA mais aussi à Star City en Russie dans les décors que l’on voit car le seul endroit d’où on peut quitter la planète, pour les fusées habitées, se fait à Baïkonour, que l’on voit dans le film et la seule technologie pour manier le Soyouz est la technologie russe donc la langue de l’espace c’est le russe et les américains doivent l’apprendre cette langue, je trouvais donc cela intéressant de montrer ça.
SeriesDeFilms : Cette inspiration réaliste ressort du film. Comment s’est passé la collaboration avec l’Agence Spatiale Européenne ?
C’était un vrai partenariat dans le sens où pendant toute l’écriture j’ai fait beaucoup de voyage là-bas mais aussi à Star City à l’Agence Spatiale Russe ainsi qu’à l’Agence kazakh. C’était vraiment une volonté d’être plus proche de ce qui se passait réellement dans ces centres, de ce que me racontait les astronautes européens, russes, japonais, canadiens tout ceux que j’ai pu rencontrer. Je me suis vraiment immergée dans ce monde. Après il était vraiment compliqué d’obtenir les autorisations, on était en fait accrédité comme des astronautes européens donc on avait des temps qui étaient des temps d’entraînement.
Dans la centrifugeuse par exemple, on tournait avec la logistique d’un tournage russe donc avec beaucoup de monde, à côté les astronautes qui s’entraînaient, ce qui était assez marrant puisque dans les couloirs où on tournait le profilactorium, le lieu où habite les astronautes, il y avait Luca Parmitano qui est en ce moment dans l’espace et qui avait dans sa chambre des posters d’Eva Green. Alors que c’est un mec qui est très sûr de lui et qui ne montre pas d’émotions là il était dans tous ses états. En fait on avait une sorte d’observation mutuelle entre ce monde de l’espace, celui du cinéma et les différentes équipes avec les acteurs qui étaient de nationalités différentes donc il y avait quelque chose de très joyeux et chaotique aussi parce que des fois ça ne se faisait pas toujours dans l’harmonie mais finalement on expérimentait ce qu’expérimente les astronautes eux-mêmes, c’est à dire une coopération, une solidarité qui se construit en dépit des différences de chacun.
Il y a également quelque chose de sacré d’être dans ces lieux, ce n’est pas comme un plateau de tournage. On ne tourne pas dans le dernier endroit avant de quitter la Terre comme on tourne sur le plateau cinq. Ce sont des lieux habités de toutes les autres missions, de toutes les choses humaines qui se sont passées là-bas. Il y a une sorte de poésie avec des endroits délabrés, avec des vestiges. On l’a bien vu dans les retours de Thomas Pesquet et les images qu’il envoyait, on a peine à croire que ce soit la réalité. Quand il est rentré, son Soyouz il était tout carbonisé comme si on ouvrait une boîte de conserve et c’est la réalité de ce que sont les fusées quoi.
SeriesDeFilms : C’est filmé sans fard, on n’enjolive pas la réalité de la conquête spatiale.
Je dirais même qu’il y a des choses que je n’ai pas filmé parce que cela n’aurait pas été vraisemblable mais en tout cas Thomas Pesquet nous a vraiment accompagné pendant toute la préparation. Quand j’ai commencé il était doublure, il n’était pas encore parti et on s’est rencontré au Kazakhstan puis ensuite à Cologne, c’était un truc au long-court et ça construisait chacun des interlocuteurs en fait avec des rapports qui étaient forts pour construire le film.
Merci à Alice Winocour pour cet entretien ainsi qu’aux équipes de l’Arras Film Festival.
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