Trois ans après War Dogs, le réalisateur Todd Phillips revient derrière la caméra pour porter à l’écran une origin-story du nemesis le plus connu de Batman à savoir le Joker. Sous le maquillage du criminel en devenir, nous retrouvons Joaquin Phoenix, l’acteur faisant suite à Jared Leto qui avait incarné le clown dans Suicide Squad, portant le film aux côtés de Robert De Niro, Zazie Beetz, Frances Conroy et Brett Cullen.

Avec Joker, Todd Phillips fait souffler un vent de chaos et de révolte dans le paysage super-héroïque actuel, nous offrant une origin-story glauque, à l’image de l’ennemi juré du Chevalier Noir.
Dans l’univers des comics, l’histoire du Joker a toujours été floue, ce qui renforce l’ambiguïté du personnage et son aura, étant représenté comme le symbole de l’anarchie. Cette idée est reprise ici par Todd Phillips et Scott Silver à travers le parcours ténébreux d’Arthur Fleck.

Les scénaristes nous présentent un homme fragile psychologiquement, souffrant en plus de cela d’un handicap, des indices préfigurant la trajectoire sanglante de ce méchant en devenir. Dans une atmosphère 70’s clairement inspirée de l’oeuvre de Scorsese, on pense énormément à La Valse Des Pantins, un effet renforcé par le traitement du monde du divertissement, l’intrigue nous met face à une inéluctable descente aux enfers et à la confrontation entre des mondes qui ne se comprennent pas, pour un résultat convaincant.

Les graines de la discorde et du chaos sont distillées tout du long du film, pour mieux mettre le feu aux poudres. Arthur Fleck et Gotham sont deux entités en mal être et des dérives de l’un va émerger la chute de l’autre. Au milieu de tout cela, Todd Phillips offre une critique de la société, qui se veut assez sombre mais au final peu subtil, le réalisateur/scénariste ne semblant pas savoir canaliser sa propre colère. Certes, quelques messages véhiculés peuvent être sujets à controverse selon la sensibilité de chacun mais au niveau du choc, l’intrigue aurait gagné à creuser davantage les démons qui rongent Gotham et amener plus de poids aux raisins de la colère plutôt que de basculer si rapidement dans cette poudrière.
Le malaise est donc de mise durant l’ensemble de long-métrage, dans le bon sens du terme entendons-le. Tout d’abord, rien qu’au niveau de la caractérisation d’Arthur, le chemin qui le mène vers la folie et la criminalité est parsemé d’éléments amenant à une certaine empathie pour le personnage, ce qui est déstabilisant mais dans la logique de la démarche voulue par l’équipe créative. La basculement d’Arthur vers le côté obscur est le fruit de plusieurs facteurs mais le point de non-retour est l’oeuvre de ce dernier.

Ce chemin vers la folie et la violence vaut avant tout pour la prestation de Joaquin Phoenix qui, comme à son habitude, est habité par le personnage qu’il incarne, s’investissant aussi bien psychologiquement que physiquement, allant à s’amaigrir pour donner une allure longiligne à Arthur, appuyant ainsi sur les troubles de ce dernier. Joker repose entièrement sur sa performance, qui est clairement le point positif du long-métrage. Électrisant et dérangeant à souhait, l’acteur réussit un exercice d’équilibriste,  tantôt sobre tantôt excentrique, ce qui aurait pu s’avérer grotesque en cas de sur-jeu. Ses camarades ne sont pas en reste, Robert De Niro et Frances Conroy en tête, réussissant à s’imposer et à tenir le cap face à Phoenix, avec de belles confrontations à la clé.

Privilégiant le drame, le réalisme et l’aspect solennel au grand spectacle, Joker a tout de même la bonne idée de ne pas renier son côté comics, avec des clins d’oeil plus ou moins subtils, qui vont de la carrière de comédien raté d’Arthur à la présence bien entendu de la famille Wayne, pour une relecture de cette mythologie DC qui aura de quoi amuser les connaisseurs.
Si l’on peut parfois reprocher une sur-utilisation de gimmicks, à savoir les pas de danse de notre clown, la réalisation de Todd Phillips agrémente Joker de cette aura lugubre avec la représentation d’un Gotham aux abois, sombrant vers son inexorable décadence, un effet de style renforcé par le très bon travail sur la photographique effectué par Lawrence Sher. En restant au plus près d’Arthur Fleck, la caméra laisse le champ-libre à Joaquin Phoenix pour exprimer les états-d’âmes de l’homme, nous happant par ce regard et ce rire glaçant. Cette atmosphère malsaine est décuplée par la bande originale composée par Hildur Guðnadóttir, achevant ce voyage vers l’anarchie.

S’il n’est pas le choc tant annoncé, Joker n’en reste pas moins un bonne surprise, faisant office d’ovni dans les super-productions actuelles. Cette descente aux enfers, synonyme de l’avènement de ce symbole du chaos qu’est le nemesis de Batman n’échappe pas à quelques facilités et un aspect politique qui aurait gagné à être mieux explicité mais la prestation hallucinée de Joaquin Phoenix ainsi que le ton dramatique adopté font que l’on suit de manière fébrile ce long-métrage, absorbé par cette plongée tumultueuse dans la folie.

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