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[Critique] Your Honor, la loi et le désordre

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Nouvelle création originale de Showtime, Your Honor est l’adaptation de Kvodo, série israélienne diffusée sur la chaîne Yes durant deux saisons. Supervisé par Peter Moffat (Criminal Justice, Undercover) et produit notamment par Robert et Michelle King (The Good Wife, The Good Fight), ce drame judiciaire – diffusé en France sur Canal + – comprend au casting Bryan Cranston, Hunter Doohan, Hope Davis, Michael Stuhlbarg, Amy Landecker, Isiah Whitlock Jr., Lili Kay, Tony Curran, Carmen Ejogo ou encore Margo Martindale et nous fait suivre un juge renommé de la Nouvelle-Orléans voyant sa vie basculer lorsque son fils se rend coupable d’un délit de fuite…

Avec Your Honor, Peter Moffat nous livre une nouvelle série judiciaire de qualité, qui trouve son intérêt dans son analyse de la justice et du pouvoir, où la manipulation et les abus sont légions que l’on se trouve du bon ou du mauvais côté de la loi.

Que sommes-nous prêts à faire pour sauver nos enfants ? Telle est la question qui s’impose à Michael Desiato, un juge renommé de la Nouvelle-Orléans, qui – un an après la mort de sa femme – voit son petit monde s’écrouler à nouveau lorsque son fils Adam se retrouve au coeur d’un accident de la route mortel, survenu à la suite d’un malencontreux concours de circonstances, comme nous l’indique le premier épisode. Alors que son enfant se rend coupable d’un acte criminel, laissant derrière lui le cadavre d’un adolescent et une montagne d’indice susceptibles de remonter jusqu’à lui, notre fervent défenseur de la justice va vite comprendre que le sort de la chair de sa chair est plus que compromis. Le garçon qu’il a tué est issu de la famille Baxter, connue pour être un parrain de la pègre et ces derniers ne laisseront jamais passer ce crime.

Ne voulant pas laisser sa progéniture se diriger vers une mort certaine en allant se rendre aux autorités, Michael Desiato s’engage alors vers une route s’assombrissant au fur et à mesure de ses mensonges, de ses actions. La voie empruntée par cet homme bien est ce qui fait la force de Your Honor, sa descente aux enfers l’ammenant à renier tous ses principes sur l’autel de l’amour filial, un choix du cœur s’avérant synonyme de dommages collatéraux, ce qui était bien évidemment attendu et dans l’ensemble ceux-ci se révèlent efficaces grâce au soin porté à l’écriture, où de minuscules détails deviendront des armes implacables déstabilisant les plans de notre personnages, pour une bonne dose de suspense, savamment dosée. Cette navigation en eaux troubles est prenante car nous sommes face à des êtres au bord de la rupture, que ce soit côté Desiato ou Baxter, les deux clans se montrant retors dans leur exactions, perpétrées au nom du fils, répondant ainsi – implicitement ou non – la violence et le désordre.

Au milieu de ce chaos initié par la peur et le chagrin, il est intéressant de constater un sous-texte sur des problématiques sociales d’actualité. En transposant leur intrigue aux États-Unis et plus particulièrement dans l’Etat de la Louisiane, l’équipe créative a ainsi pu aborder le racisme et les abus de pouvoir sur la communauté afro-américaine, laissée souvent pour compte dans des quartiers défavorisés et servant en plus de bouc-émissaire à certaines personnes influentes. Une triste observation qui se fait par le biais de protagonistes clés comme Eugene et Kofi Jones, devenant malgré eux des pions sacrifiables sur une partie d’échecs qui n’est pas de leur ressort, leur famille volant – littéralement – en éclat, de quoi renforcer le sentiment d’indignation du public, alors que les victimes s’enchaînent pour mieux laver l’honneur de coupables.

Si l’on peut tout de même regretter certains égarements scénaristiques autour du parcours d’Adam et de sa gestion de la culpabilité, avec l’instauration d’une romance malvenue donnant lieu à un triangle amoureux dont on se fiche quelque peu, de même qu’une dernière partie de saison concentrée sur un procès charnière qui perd quelque peu en crédibilité à cause de quelques ficelles trop visibles, dans son intégralité Your Honor est captivante à suivre, surtout lorsqu’un esprit Shakespearien s’invite pour jouer les troubles fêtes et faire flotter un parfum de tragédie et de pessimisme. Outre son scénario et sa réalisation léchée, aidant à mettre en valeur la Nouvelle-Orléans et à instaurer une atmosphère anxiogène bienvenue, la vraie force de la série réside dans son casting est plus précisément dans la partition de Bryan Cranston, qui s’est impliqué à cent pour cent dans ce projet, officiant également à la réalisation de l’épisode final.

L’acteur est une fois de plus exceptionnel dans ce rôle d’homme d’honneur basculant de l’autre côté de la barrière et bafouant ce symbole qu’il est censé représenté, la justice. Constamment sur la corde raide, Michael Desiato est un personnage complètement dépassé par la situation, essayant tout de même de faire bonne figure malgré les dangers, permettant à Cranston d’offrir une prestation de haut-vol avec de multiples nuances. On apprécie notamment l’émotion et le paternalisme émanant de la relation Michael/Adam, Hunter Doohan étant convaincant dans la peau de ce fils à la ramasse de même que la tension présente dans les nombreuses confrontations avec Jimmy Baxter, Michael Stuhlbarg se démarquant également avec son interprétation habitée de ce mafieux en proie à la douleur suite à la perte de l’un des siens.

Si elle n’est pas dénuée de défauts, Your Honor n’en reste pas moins une plongée intrigante dans les arcanes du pouvoir, où la justice se désacralise au nom de la sacro-sainte famille, pour un conflit où la loi se mêle au désordre avec des conséquences tragiques. Jamais manichéenne, la série se laisse suivre avec plaisir grâce à la performance impeccable de Bryan Cranston, figure de proue de ce drame judiciaire où le franchissement de la ligne rouge est synonyme de conséquences désastreuses. Si, contrairement à la version israélienne, elle a été conçue pour durer le temps de dix épisodes, nous répondront à la convocation du juge Desiato si une deuxième saison voit le jour, sait-on jamais.

Showtime