Trois ans après Tenet, Christopher Nolan nous revient avec Oppenheimer, biopic consacré à Julius Robert Oppenheimer réunissant au casting Cillian Murphy, Emily Blunt, Robert Downey Jr., Matt Damon, Florence Pugh, Josh Harnett, Jason Clarke, Alden Ehrenreich ou encore Rami Malek et se centrant sur la progressive montée en puissance du physicien dans la sphère scientifique mais surtout politique à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale…

Après avoir décortiqué comme il se doit le concept du temps principalement via le prisme de la science-fiction, Christopher Nolan convoque de nouveau l’histoire avec un grand H comme il l’avait fait à l’époque de Dunkerque, afin d’allumer la mèche d’un biopic au sujet explosif, relatant du rôle proéminent d’un homme de science dans l’élaboration d’une arme de destruction massive qui changera la face du monde à tout jamais. Quand les principes moraux et éthiques d’un homme se désagrègent face à l’instabilité inhérente à un conflit d’échelle planétaire, cela peut mener au meilleur mais surtout au pire, comme en témoigne le cinéaste – qui livre avec Oppenheimer l’œuvre la plus plus dense de sa filmographie.

En se basant sur American Prometheus : The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer, biographie des plus complètes consacrée à notre protagonistes écrite par Kai Bird et Martin J. Sherwin, Nolan trouve le matériel nécessaire pour alimenter un récit sur la puissance de l’orgueil et de l’ambition, où la soif de reconnaissance ainsi que la volonté de vouloir faire date amènent à naviguer vers d’obscurs territoires. Être porté aux nues comme un héros puis rejeté comme un ennemi, une ambivalence servant de moteur au drame ici tissé par le réalisateur qui, seul aux commandes du scénario, s’articule au maximum sur cette notion de dualité avec un long-métrage deux-en-un narrant d’un côté l’émergence d’un esprit libre et rebelle puis de l’autre la chute d’un être abandonné par ses pairs, payant le prix de son acte passé.

Au centre de ce parcours de vie ponctué de succès et de désillusions, le projet Manhattan, qui déboucha sur la création de la bombe atomique et les conséquences qu’on lui connaît. Un événement clé dans la construction personnelle et professionnelle de Julius Robert Oppenheimer, aussi tragique soit-il, qui se retrouve être le cœur du réacteur du script de Christopher Nolan, inspiré par la figure complexe du physicien et par la fourberie d’une Amérique cherchant à montrer l’étendue de sa puissance sur la scène internationale à une période chaotique. Prenant le contre-pied de ce que l’on était en droit d’attendre d’une telle entreprise, l’intrigue développée met face-à-face les particules élémentaires menant à la consécration puis à l’annihilation, faisant fusionner avec brio passé et présent afin d’éclairer le spectateur sur les contrastes de cet homme brillant devenu par la force du destin “la mort, le destructeur des mondes” – mais également sur ceux du pays de l’Oncle Sam.

Grâce à sa structure narrative en miroir, Oppenheimer joue habilement avec la tension et fait doucement mais sûrement grimper les enjeux dans ses deux timelines, qui se répondent parfaitement, aidant à oublier que celui-ci dure trois heures. Petit à petit, l’atmosphère s’alourdit tandis que se mettent en place les pièces menant à l’inéluctable. Que ce soit à travers la conception de l’arme atomique ou le procès d’intention intenté à notre protagoniste, l’adage ‘la fin justifie les moyens’ prend à l’écran la forme d’une partie d’échecs où l’on sait définitivement qu’il n’y aura aucun gagnant en dépit des tactiques utilisées. Définitivement nihiliste, ce qui en fait sa plus grande force, le film n’oublie pas de craquer subtilement sa carapace, via le soin porté à la caractérisation des principaux personnages, bourrés de défauts et par conséquent profondément humain.

Aidé par une excellente direction d’acteurs, le casting cinq étoiles se bousculant devant sa caméra prouve sa très grand qualité, à l’image de Cillian Murphy, qui irradie l’écran dans le rôle-titre en apportant de la nuance à son alter-ego par le biais d’un jeu tout en intériorité – faisant passer un maximum d’émotions. S’il tient le haut de l’affiche, le comédien est très bien épaulé par ses camarades gravitant autour de lui, à commencer par Robert Downey Jr. qui signe un retour flamboyant dans le milieu du septième art après une petite pause post-MCU en campant un Lewis Strauss électrisant de par son ambiguïté. Malgré la longue liste de noms se succédant, de Matt Damon à Josh Hartnett en passant par Alden Ehrenreich, chacun a le moment de briller et même les rôles féminins – trop souvent reléguées parmi les seconds couteaux dans la filmographie du réalisateur. A l’image d’Emily Blunt qui, si elle sait se faire discrète, vole la vedette à ses collègues présents dans la pièce en l’espace d’une séquence d’interrogatoire remarquée.

Niveau mise en scène, s’il se montre la plupart du temps scolaire, Christopher Nolan retient ses coups pour mieux nous en mettre plein la vue, que ce soit durant de courtes séquences où l’introspection est de mise, comme celle où Oppenheimer pense aux conséquences de ses actes – et du largage de la bombe H à Hiroshima – se retrouvant saisi par l’horreur tandis que le public l’acclame. Un moment fort résumant parfaitement ce contraste symbolisant le long-métrage, où rien ne va excuser les agissements des scientifiques et politiques liés au projet Manhattan. Autre instant crucial, le fameux essai en plein désert, témoignant du savoir-faire du réalisateur pour faire monter en flèche la pression quant à ce moment fatidique – le tout en privilégiant les effets pratiques au effets spéciaux. De quoi ressentir l’effet blast de l’explosion jusque dans son fauteuil. Puissant.

À travers l’exercice (réussi) du biopic, Christopher Nolan met en avant le pouvoir destructeur de l’Homme, Oppenheimer se voulant un jeu de pouvoir et d’ambition aux conséquences dramatiques, servi par une distribution de haut vol.

© Universal Pictures

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