Deux ans après Les Traducteurs, Régis Roinsard s’attèle à l’adaptation du roman d’Olivier Bourdeaut, En Attendant Bojangles, s’entourant de Romain Duris, Virginie Efira, Grégory Gadebois ou encore Solan Machado-Graner pour y parvenir. Présenté en avant-première lors de la vingt-deuxième édition de l’Arras Film Festival, le long-métrage se centre sur le quotidien pour le moins iconoclaste de Camille et Georges, qui se consacre à une vie faite de plaisir, de fantaisie, le tout au rythme de leur chanson préférée…

Après être passée par la case bande dessinée puis avoir brillée sur les planches, l’œuvre littéraire d’Olivier Bourdeaut débarque dans l’univers du septième art, avec une adaptation chapeautée par Régis Roinsard, qui est parvenu à restituer à l’écran la folie douce propre au roman – un élément clé à l’efficacité de l’intrigue. Sachant trouver l’angle convenant au traitement de cette histoire fantastique imaginée par l’auteur, le réalisateur ne déçoit pas et nous livre une comédie dramatique aérienne qui, telle une plume, se laisse porter au gré du vent et des tempêtes – symbolisant la légèreté de l’être face au quotidien et à ses épreuves.

Reprenant avec une certaine fidélité l’intrigue du matériau d’origine, avec des modifications minimes à la clé qui ne perturbent aucunement la trame conçue par Bourdeaut, En Attendant Bojangles se veut un long-métrage frais et pétillant où les émotions tourbillonnent sur un tempo rapide, pour un numéro d’équilibriste des plus probants. Officiant à l’écriture aux côtés de Romain Compingt, Régis Roinsard peaufine une valse à quatre temps où la réalité vient peu à peu fissurer le cocon illusoire auquel nous sommes introduits, la folie venant progressivement contrebalancer la fantaisie propre au récit. Ainsi, entre bonne humeur et mélancolie, nous suivons le train de vie pour le moins ‘merveilleux’ d’une famille des plus iconoclastes, se refusant à se conformer aux normes de la société, pour le meilleur et pour le pire.

Au cœur du long-métrage, une passion, celle unissant Camille et Georges, dont le coup de foudre est immédiat – chacun semblant prendre par dessus la jambe la bienséance et les codes du monde dans lequel ils cohabitent. Deux personnalités à la marge, qui vont irrémédiablement s’attirer pour ne plus se quitter, point de départ d’une romance grandiloquente. Vivant littéralement d’amour et d’eau fraîche, nos tourtereaux font tout pour échapper aux conventions, aux obligations, n’en faisant qu’à leur tête. La vie est un fête et il faut la célébrer, un credo qui dirige leur existence et insuffle un vent de liberté salutaire au sein de leur nid douillet. Cet esprit rebelle sert de carburant à un scénario cherchant à capitaliser sur l’originalité de ces âmes sœurs vagabondes dansant avec délectation au son du fameux titre de Nina Simone, Mr Bojangles, sans que rien n’est d’emprise sur eux. Du moins c’est ce qu’ils pensaient.

De la fantaisie des débuts, où l’allégresse est de mise sous une tonalité limite burlesque, En Attendant Bojangles embrasse petit à petit le spectre de la folie, alors que la réalité se rappelle au bon souvenir de notre couple et de leur cercle intime, composée de leur fils Gary, leur animal de compagnie Mademoiselle Superfétatoire – une grue demoiselle de Numidie – ainsi que leur fidèle comparse, L’Ordure, un sénateur devenu membre à part entière de la fratrie. Après des années de fiesta, la gueule de bois est sévère pour nos protagonistes, tandis que Camille perd pied psychologiquement – elle qui a toujours farouchement lutter contre la normalité. Face au désarroi, propre à ce coup dur, George va déplacer des montagnes et construire des châteaux en Espagne pour recoller les morceaux et permettre à la femme de sa vie de continuer à s’extasier dans cette vie de tous les possibles, où l’illusion maintient l’ordre établi. Une seconde partie de métrage plus délicate, qui vient donner de la consistance à l’intrigue, l’agrémentant d’une dimension plus sombre, qui ne dénote pas avec l’ensemble, Régis Roinsard et son co-scénariste conservant cette étincelle, ce sens de l’excentricité qui fait le charme de l’œuvre – évitant de s’enfoncer dans le mélo ou le pathos.

D’ailleurs nul besoin de verser dans le larmoyant, Romain Duris mais surtout Virginie Efira parvenant avec aisance à nous émouvoir au sort de leur alter-ego. Au diapason, le tandem réussissent avec grâce leur pas de deux, leur alchimie aidant à croire en l’indéfectible amour de Georges et Camille, couple fusionnel par excellence. Si c’est toujours un plaisir de voir Grégory Gadebois à l’écran, même lorsqu’il joue les seconds couteux, saluons tout de même la performance de Solan Machado-Graner, qui entre par la grande porte dans le monde du cinéma avec un premier rôle convaincant, ce dernier étant impeccable dans la peau de Gary. Pour parfaire l’ensemble, Régis Roinsard semble inspiré par son sujet aussi bien au niveau de l’écriture que de la mise en scène, celle-ci étant maitrisée entre photographie pop et séquences travaillées, à l’image des passages dansés émaillant le film – notamment un tango endiablé dans le dernier acte qui joue de cette dichotomie entre réalité et fantasme. Un bon point pour la réalisation donc.

En ne dénaturant pas l’œuvre d’Olivier Bourdeaut et en conservant cette part de fantaisie essentielle au bon déroulement de l’intrigue, Régis Roinsard nous livre une adaptation enivrante d’En Attendant Bojangles, qui oscille entre joie, allégresse et détresse avec un certain sens de l’équilibre, ne tombant jamais dans la caricature. Pour conduire cette rumba effrénée, un tandem Romain Duris/Virginie Efira complice, qui tiennent la cadence et le rythme pour un numéro de toute beauté.

© Curiosa Film

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