Deux ans après L’Esprit De Famille, Eric Besnard fait son retour derrière la caméra avec Délicieux, qui comprend au casting Grégory Gadebois, Isabelle Carré, Guillaume De Tonquédec, Lorenzo Lefebvre ou encore Benjamin Lavernhe et revient sur la création du premier restaurant français à la fin du XIXe siècle.

Avec Délicieux, Eric Besnard convoque nos sens pour un drame au doux parfum de vengeance loin de manquer de saveur ; un amuse-bouche se laissant fondre en bouche grâce à une recette finement concoctée qui allie écriture inspirée à réalisation léchée, le tout pour un met fort appréciable.

Sucrée à l’extérieur mais salée en son cœur, cette douceur qu’est le long-métrage dissimule derrière son apparence savoureuse un goût plutôt relevé, un habillage classieux servant de cheval de Troie à la dénonciation d’un climat délétère. Un double effet qui fait le sel de cette œuvre ô combien d’actualité malgré son postulat. Ainsi, si l’on s’installe à table pour y déguster une relecture de la création du tout premier restaurant sur le territoire français, nous retrouvons dans notre assiette un plat d’un tout autre acabit, plus copieux qu’il n’y paraissait. En substance, la fondation de ce lieu de bouche n’est qu’un des condiments venant garnir un soufflé à la texture pour le moins révolutionnaire.

Officiant également à l’écriture Eric Besnard met les petits plats dans les grands pour servir son propos, qui revisite à sa sauce le célèbre adage « la vengeance est un plat qui se mange froid » au travers le parcours d’un homme déchu. Cuisinier pour le duc de Chamfort, Pierre Manceron se fait limoger pour avoir oser sortir des sentiers battus, en proposant une innovation culinaire lors d’un dîner de convenance – le bien-nommé délicieux. Une audace synonyme de défaite, se concluant par un retour à la case départ pour notre as des fourneaux, conspué et dénigré par son employeur. S’exilant en province, loin des dorures, notre protagoniste repart de zéro aux côtés de son fils et d’une étonnante femme, venue à sa rencontre pour devenir son apprentie et apprendre les arts de la table.

De ce postulat, le scénario amorce tout d’abord une réflexion sur ce retour aux choses simples de la vie. Une reconnexion à l’essentiel que l’on retrouve dans l’entreprise de Monceron et ses proches, leur volonté de bâtir un lieu de bouche ouvert à tous – sans distinction – permettant au réalisateur d’évoquer des valeurs telles que la tolérance, la fraternité, des ingrédients phares du monde culinaire. Une note de douceur à diluer subtilement ce récipient d’aigreur dans lequel baigne Délicieux, ce qui lui apporte une densité bienvenue. En effet, c’est en venant quelque peu noircir son tableau que Eric Besnard trouve un certain équilibre dans la confection de son plat, abordant une thématique du passé qui appartient malheureusement toujours à notre époque : la lutte des classes.

Faisant monter ses œufs en neige avec application, ce dernier dénonce la vacuité et à la dangerosité du monde des puissants, baignant dans l’opulence. Se diffuse alors un parfum de colère tandis que les graines de la Révolution germent sans que la noblesse n’y prête attention, se gargarisant dans le luxe et la volupté. Un constat piquant et pertinent lorsque l’on voit à quel point les divisions règnent dans la société d’aujourd’hui. De quoi pimenter juste ce qu’il faut cette aventure culinaire qui se laisse déguster sans être gavante, grâce notamment à une mise en scène élégante, sublimant les décors et les bons petits plats présentés à l’écran par le biais d’une photographie soignée signée Jean-Marie Dreujou, qui permet de jouer avec les couleurs et de proposer des tableaux dignes de natures mortes.

Autre atout de taille, la qualité de la distribution, qui apporte une nuancé supplémentaire au film. La partition inspirée d’un Grégory Gadebois bourru et attachant complète à merveille celle proposée par Isabelle Carré, qui joue de son aura mystérieuse pour étoffer les différentes strates de son personnage. Face à eux, apprécions les performances remarquées de Guillaume De Tonquédec et Benjamin Lavernhe, qui s’amusent à se montrer irritant et vaniteux, y parvenant avec grâce et aisance.

Avec Délicieux, Eric Besnard dresse une table qui donne sacrément envie et nous convie à un repas s’avérant goûtu de l’entrée au dessert. Concocté avec une grande apication, ce drame historique, qui relate – avec de grandes libertés il va de soi – la création du premier restaurant sur le sol français, dispose de qualités indéniables et diffuse un doux parfum de révolte qui lui sied bien.

© Nord-Ouest Films

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